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René Girard, lecteur des évangiles

Daniel Laufer
La Nation n° 2114 18 janvier 2019

Certains théologiens s’en méfient, d’autres au contraire voient en lui un révélateur du mystère de la Croix. Les anthropologues s’en méfient encore plus, accusant René Girard de prétendre recourir à un système anthropologique pour donner un vernis scientifique à ce qui ne serait en fin de compte qu’une apologie. Nous avons la prétention de répondre ici, très brièvement, à cette question et conférer ainsi à Girard son véritable statut, un statut qui est au fond tout à fait original.

Je ne pars pas seul au combat, je prends des risques, certes, mais j’ai de solides appuis. Je convoque tout d’abord Bernard Perret qui a écrit Penser la foi chrétienne après René Girard (Ad Solem édit.), James Alison et ses 12 leçons sur le christianisme (Desclée de Brouwer), bien entendu le P. Raymund Schwager, incomparable interlocuteur de Girard, notamment dans son maître-livre Avons-nous besoin d’un bouc émissaire ? (Flammarion), Benoît Chantre, son plus fidèle interprète (cf. Les derniers jours de René Girard, paru récemment chez Grasset), Michel Serres, Jean-Claude Guillebaud, quelques autres encore, si besoin est, mais dont je me dispense de préciser les références pour éviter de fastidieuses notes de bas de page.

René Girard a fait une véritable découverte: la rivalité mimétique, ce qu’il appelle la mimésis, à l’œuvre dans tous les rapports humains, du voisin de palier qui a une si belle voiture au Charlie Chaplin des Dictateurs – où la rivalité se mesure exactement à la hauteur des sièges des deux protagonistes, mais aussi dans les grands récits de l’histoire biblique – Caïn et Abel –, ou de l’histoire romaine – Remus et Romulus –, comme aussi chez Proust – la vanité de Mme Verdurin –, dans presque tous les drames de Sophocle à Shakespeare et à Dostoïevski.

La découverte de la mimésis a déjà donné lieu à d’innombrables travaux, conférences, séminaires de tous ordres, en de nombreuses universités, principalement en France et aux Etats-Unis, et à la création, notamment, de l’Association Recherches Mimétiques (ARM), laquelle a déjà à son actif de nombreuses publications de haute tenue. Mais je dois abréger: qu’on consulte, pour qui veut en savoir plus, le site www.rene-girard.fr Cela ne vous prendra que quelques heures.

Ce qui nous intéresse, c’est la lecture girardienne des Evangiles. Quel rapport avec la rivalité mimétique?

Pour le saisir, il faut commencer par ce que nous révèlent de nombreux mythes de diverses religions: l’apparition d’une crise, une crise sociale, politique, épidémique (la peste à Thèbes et au Moyen Âge par exemple) qui débouche, précisément par contagion mimétique, sur le déchaînement de la foule, laquelle se résout au sacrifice du bouc émissaire. Je cite Guillebaud, dans la revue La Vie (juillet 2014): « C’est parce qu’ils sont unanimement convaincus de la culpabilité du bouc émissaire que les membres d’une communauté reconquièrent la paix, au prix de cette violence sacrificielle qui devient fondatrice… Ainsi les mythes, les rites, le religieux… expriment-ils nécessairement ce qu’on pourrait appeler le point de vue des persécuteurs. »

Or, dit Girard:

« Le processus qui se déroule dans les Evangiles est le même que dans les mythes, mais les auteurs ne l’interprètent pas de la même manière. Dans les mythes, la victime paraît justement condamnée et châtiée. Les mythes, ce sont les foules qui massacrent leurs boucs émissaires parce qu’elle croient, dur comme fer, en leur culpabilité.

Les Evangiles, au contraire, repèrent et dénoncent l’illusion des persécuteurs. Les mythes ne soupçonnent pas le caractère trompeur du phénomène qu’ils rapportent. Les Evangiles au contraire appréhendent cette erreur, Ce sont eux qui révèlent les phénomènes du bouc émissaire. »1.

La Bible, et plus tard les Evangiles, parmi tous les textes religieux, sont les seuls à dire la vérité sur le bouc émissaire, et finalement à donner à la Crucifixion, et à elle seule et à jamais, la révélation destructrice du bouc émissaire. C’est bien sur l’unicité du sacrifice du Christ – entendu comme un renversement des sacrifices archaïques – que Girard insiste constamment. A cet égard, il fait bien œuvre apologétique, et il ne s’en est jamais caché. Mais il n’en demeure pas moins que sa vision anthropologique, bien loin de mettre en doute les vérités évangéliques, les projette au contraire dans un nouvel éclairage et leur donne une forte assise – dont les églises chrétiennes auraient bien tort de se passer aujourd’hui.

Notes:

1  Déjà cité dans La Nation n° 1876, du 20 novembre 2009.

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