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L’écologie d’un point de vue politique

Jacques Perrin
La Nation n° 2138 20 décembre 2019

Après avoir rendu compte de quatre livres d’auteurs proches de l’écologie, Serge Thorimbert, Bruno Latour et Dominique Bourg; après avoir lu Face à Gaïa du même Latour, le cours de philosophie du droit de l’environnement du professeur Alain Papaux, le Petit traité politique à l’usage des générations écologiques de MM. Bourg et Papaux et l’encyclique Laudato si’ du pape François, nous donnons nos premières impressions sur la vague verte.

Nous saisissons d’abord que, comme le répète le pape François, tout est lié. Les décideurs lisent les résumés des rapports du GIEC et Greta Thunberg nous invite à méditer les sciences dures. La climatologie et la géologie mettent en cause l’économie capitaliste. L’économie convoque la sociologie et la psychologie pour expliquer les addictions consuméristes. Les politiques demandent l’aide des juristes. La philosophie, puis la théologie viennent couronner les réflexions.

Dans l’immédiat, nous n’engagerons aucune dispute scientifique. Climato-sceptiques et climato-inquiets ne semblent pas disposés à dialoguer. Nous n’avons assisté à aucun débat entre représentants de haut niveau des deux camps.

Nous envisageons l’écologie sous l’angle politique.

Qui dit politique, dit cité, nation, État. Les écologistes se soucient-ils d’un pays aux frontières définies, situé sur un territoire précis, habité par un peuple, disposant d’un gouvernement exerçant la souveraineté? Ce n’est pas toujours clair. Ils utilisent des termes vagues: le local, les espaces, les zones, les territoires qui ne se superposent pas aux États répertoriés. Il y a chez eux une double attirance: pour la petite patrie au sens antique, c’est-à-dire une terre ne s’étendant pas au-delà de l’horizon où porte le regard, et pour une totalité qu’ils ne savent pas vraiment nommer: la planète, la Terre, Gaïa, la biosphère, le globe, le système-terre, le milieu, l’environnement. Le philosophe Bruno Latour pense que les membres de toute communauté, même ceux d’une Zone à défendre où une population bigarrée vient se fixer, devraient se demander: D’où viennent l’eau, la nourriture et l’énergie qui nous permettent de survivre ? Que sommes-nous prêts à défendre ? Qui sont nos ennemis ? Qui sont nos alliés ? Suivant les réponses données à ces questions essentielles, ils se verront dépendants de terres situées au-delà de leurs «frontières». Comme les ravages écologiques se moquent des limites politiques, le souci du bien commun que les écologistes éprouvent se dissocie des communautés politiques existantes pour se transférer sur le local, une région, ou une communauté internationale fictive.

Il semble qu’en Suisse la plupart des écologistes ne puissent être fédéralistes qu’accidentellement, s’ils atteignent leurs objectifs au niveau cantonal. Ils  centraliseront sans état d’âme quand Berne, Bruxelles ou l’ONU feront avancer la cause plus rapidement.

A première vue, les Verts ne remettent pas en cause la démocratie électorale ni la démocratie directe. Pour l’heure, triomphants, ils s’adaptent au système des partis, cherchant à occuper des places et déjà en proie aux rivalités internes, leur féminisme affiché contrariant parfois certaines ambitions «viriles». En leur sein se trouvent des personnes qui envisagent d’autres formes de démocratie. Les activistes préféreraient une démocratie participative pour s’adonner à des délibérations au sein d’assemblées où, malgré l’horizontalité proclamée (il n’y a pas de chef), les experts en manipulation tirent leur épingle du jeu. Sans doute peineraient-ils à avouer que le régime démocratique électoral empêche toute action sur le long terme, compromet la sauvegarde et la transmission du bien commun, que seul un chef d’État non élu incarnerait dans la durée la sobriété et le refus d’une croissance illimitée.

Les facteurs de division entre Verts sont nombreux. Les uns rejettent le capitalisme et la technique, les autres sont libéraux, technophiles et adeptes de l’économie de marché. Les Verts ont beaucoup d’ennemis: marxistes productivistes, ultra-libéraux ou populistes, ces derniers, Trump et l’UDC par exemple, faisant office de boucs-émissaires. Certains détestent le marché et l’individualisme; ils limiteraient volontiers la croissance des droits-prérogatives; les libéraux genevois considérant l’usage des 4x4 en ville comme un droit humain attirent leurs sarcasmes…

Les Verts sont divisés sur l’immigration. Ils sont favorables à un accueil généreux des migrants, négligeant le lien entre accroissement de la population et dégâts à l’environnement, mais  en 2014, une frange d’écologistes partisans de l’initiative Ecopop appela sans succès à limiter l’immigration. Le malthusianisme est mal vu du pape François, tandis que de jeunes Verts sont prêts à renoncer à enfanter pour sauver la planète, l’homme étant la cause du réchauffement climatique.

En matière de mœurs, les Verts s’accordent sur presque tout. Les crimes contre l’environnement les horrifient plus que les blessures infligées à la nature humaine dont ils font peu cas. Ils défendent toutes les «avancées sociétales»: le droit à l’avortement, le suicide assisté, le mariage gay, la législation antiraciste et anti-homophobe, la lutte contre le patriarcat, l’antispécisme. Seuls les Verts catholiques renâclent devant l’avortement et la GPA.

Les Verts sont donc de toutes les couleurs. Certains sont rayés de blanc (les conservateurs), ou tirent vers le bleu PLR (Les Verts libéraux). Les Verts pastèque (rouges ou rosés à l’intérieur) sont les plus répandus. Dominique Bourg est un partisan décidé de l’État-providence. Les libertés doivent plier devant l’urgence écologique. Le droit  absolu de propriété est relativisé, on redécouvre les «communs», ressources (une forêt ou un logiciel par exemple) gérées par une collectivité et utilisables par chacun. Certains Verts anarchistes préconisent la désobéissance civile non violente et pourtant coercitive, comme l’a bien noté Mme Suzette Sandoz.

L’écologie séduit la Ligue vaudoise par son côté conservateur hostile aux mythes modernes, à l’individualisme, au progrès indéfini et à la concurrence sans freins. Nous voulons que le Pays survive, que ses eaux ne soient pas empoisonnées, que son sol reste fertile, son air pur, que la beauté de ses paysages demeure, qu’il se protège des effets délétères de la mondialisation, de la surabondance de voies de communication, de trafic et de bâtiments laids, voire de touristes ou d’étrangers si nombreux qu’ils en deviennent inassimilables. L’écologie nous convient quand elle place le bien commun au premier plan, réfléchit à la primauté des fins sur les moyens et vante les limites. Or les frontières sont aussi des limites; l’espace est indissociable de l’histoire, du temps durant lequel un peuple s’est constitué. La nature humaine nous importe autant que la nature physique. La diversité des peuples compte autant que la biodiversité. Nous désirons que la gamme des métiers exercés dans le canton reste étendue.  Nous refusons de former un secteur minuscule de la division internationale du travail, d’où l’agriculture, par exemple, serait bannie. L’ascétisme ne nous dit rien, de même que les interdits quasi religieux prononcés par les anti-spécistes véganes. Nous disons oui à la sobriété, non à la décroissance.

Plus que les bouleversements climatiques, nous craignons la malignité humaine. L’état d’urgence proclamé par le volontarisme vert et la panique ordonnée par Greta exacerbent les conflits déjà vifs entre souverainistes et mondialistes, hommes et femmes, jeunes et vieux, «manants» et migrants. C’est pourquoi nous subordonnons l’écologie à la prudence politique, par laquelle s’exerce notre responsabilité sur les dons reçus de la nature et de nos ancêtres.

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