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Le droit effectif d’être entendu

Jean-François Cavin
La Nation n° 2147 24 avril 2020

La revue Horizons, magazine suisse de la recherche scientifique édité par le Fonds national suisse et les Académies suisses des sciences, rend compte dans son numéro de mars, sous la plume de Mme Suzanne Wenger, d’une recherche sur l’ordonnance pénale rendue par le ministère public. Ce travail de recensement et d’analyse, mené sous la direction de M. Marc Thommen, professeur de droit pénal à l’université de Zurich, prend sous la loupe une procédure de jugement d’une grande importance pratique, mais dont tel aspect est peut-être problématique.

L’ordonnance pénale est un prononcé du ministère public rendu après examen du cas par le procureur lui-même, principalement par écrit, sans audience au tribunal. La proposition de verdict est adressée au prévenu par la poste; celui-ci a dix jours pour faire appel; s’il le fait, l’affaire sera portée devant le juge; s’il ne le fait pas, l’hypothèse de culpabilité du procureur se muera automatiquement en verdict de culpabilité. Cette procédure ne concerne pas que des cas légers, mais bien des délits passibles non seulement d’amendes ou de peines pécuniaires, mais aussi de peines privatives de liberté allant jusqu’à six mois.

Cette manière expéditive de condamner concerne neuf peines sur dix. Elle décharge la justice, qui sans cela s’effondrerait sous le poids d’innombrables causes. Mais elle n’est pas à l’abri de toute critique. Le fait que l’enquêteur soit aussi le juge n’est pas très orthodoxe; cependant la possibilité de l’appel, conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme confirmées lors de l’affaire Belilos à l’époque de «Lausanne bouge», garantit – du moins en théorie – le droit à un jugement impartial. En théorie, car les appels sont peu nombreux; peut-être parce que les justiciables ne sont pas quérulents et admettent leur faute; peut-être aussi en partie par timidité devant l’appareil judiciaire, ou par méconnaissance des mécanismes du droit (voire de la langue), ou plus simplement pour ne pas se compliquer la vie.

On peut admettre tout cela le plus souvent pour que la justice ne soit pas engorgée. Mais cela devient douteux lorsque de lourdes peines sont en jeu. Que le prévenu soit entendu, c’est un droit fondamental. S’il y renonce implicitement dans de petites affaires, passe. En revanche, lorsque la prison menace, l’audition devrait être obligatoire. Un interrogatoire personnel permet au procureur non seulement de recueillir des informations supplémentaires sur la cause, d’entendre l’argumentation du prévenu, mais aussi de mieux connaître sa personnalité, ce qui peut avoir de l’importance pour la mesure de la peine.

Le Conseil fédéral, sensible à ces critiques, propose l’audition obligatoire du prévenu avant le prononcé d’une peine ferme. La Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police n’est pas enthousiaste, craignant des surcoûts non négligeables et estimant l’appel suffisant pour garantir un traitement équitable. Nous doutons que la réforme envisagée soit si onéreuse qu’on le craint, les peines privatives de liberté fermes n’étant probablement pas très fréquentes; et l’on ne devrait pas badiner avec le respect non seulement théorique, mais réel, d’un droit fondamental.

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