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Ça fait un bail

Olivier Klunge
La Nation n° 2155 14 août 2020

La crise sanitaire a ébranlé plusieurs principes qui semblaient pourtant bien ancrés dans notre démocratie suisse. La gauche a applaudi au cautionnement par la Confédération de prêts par les banques et la droite a voté sans sourciller des crédits gigantesques sans se préoccuper de leur remboursement. Le dernier avatar en est la publication par le Conseil fédéral, le 1er juillet dernier, d’un projet de «Loi COVID-19 sur les loyers commerciaux».

Deux motions déposées simultanément dans chacune des Chambres fédérales1 ont été adoptées les 4 et 8 juin dernier, contre l’avis du gouvernement. Ces motions identiques demandent de secourir les commerçants, restaurateurs, hôteliers et établissements de santé frappés par les restrictions à leurs activités décidées par la Confédération en lien avec le coronavirus, en imposant aux bailleurs une diminution de 60% des loyers et fermages concernés durant ladite période de fermeture.

Il y aurait beaucoup à dire sur le choix des locataires concernés, incluant les cabinets médicaux ou dentaires qui n’ont pas été complètement fermés, mais pas les activités culturelles et événementielles qui l’ont été. La limite de loyer de CHF 20’000 par mois pour bénéficier de cette loi paraît arbitraire, puisqu’elle exclut un petit restaurateur avec un loyer important au centre d’une métropole, mais comprend la Migros d’une bourgade. Le fait d’exclure du champ d’application de la loi les loyers sur lesquels les parties ont déjà trouvé un accord apparaît comme une prime au conflit.

Nous pourrions aussi relever que l’aide décidée il y a trois mois déjà par le Conseil d’Etat vaudois favorisant les accords entre parties avec une libérale participation de l’Etat, si elle n’était pas exempte de critiques, a été plus rapide, plus ciblée, plus équilibrée entre les efforts des bailleurs et ceux des locataires. Surtout, l’Etat prenait sa part du dommage lié à sa décision de confinement, alors que le législateur fédéral fait uniquement payer les propriétaires. Le fonds de soutien en cas de détresse économique prévu par les motions est doté du risible montant de CHF 20 millions. Le même montant que notre gouvernement cantonal a alloué pour les loyers vaudois seulement.

Cependant, le droit du bail est déjà truffé d’interventions massives, parfois illogiques, souvent contre-productives, de l’Etat dans les rapports de droit privé. Nous pourrions donc trouver banale cette nouvelle intervention généreuse dans ses intentions (électorales?) et inique dans son résultat

Mais pour garder notre indignation intacte, le législateur fédéral envisage ici une nouvelle monstruosité: une application rétroactive imposant des obligations aux bailleurs pour des faits antérieurs à l’adoption de la loi. Le projet, qui ne sera pas adopté par le Parlement avant septembre prochain, impose des diminutions de loyer dès le 17 mars 2020, soit une période où les parties au contrat ne pouvaient pas envisager l’application de cette norme. La non-rétroactivité des lois est un principe fondamental de l’état de droit. C’est ce principe qui interdit, par exemple, de condamner un automobiliste à une sanction plus sévère imposée par une nouvelle loi si l’infraction a été commise avant son entrée en vigueur.

Indépendamment de la question de la nécessité de soutenir certaines catégories de locataires commerciaux durement touchés par les restrictions de droit public liées à la crise sanitaire, nous sommes donc farouchement opposés à voir une loi imposer à des particuliers, dans une relation de droit privé, une modification des conditions contractuelles pour une période précédant son adoption. Nous espérons que les parlementaires fédéraux auront un sursaut de conscience à bafouer les principes de la confiance entre autorités et particuliers et abandonneront ce précédent funeste.

Notes

1  Motions 20.3451 et 20.3460.

 

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