Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Occident express 80

David Laufer
La Nation n° 2173 23 avril 2021

Pour l’édition 2021 des Oscars, la Serbie a soumis «Dara de Jasenovac», et la Bosnie «Quo Vadis Aida». Le film serbe retrace l'histoire du camp d'extermination de Iasenovats où, durant la Seconde Guerre mondiale, les Croates alliés de l'Allemagne ont massacré – les chiffres sont sujets à dispute – environ 80'000 Serbes, ainsi que des Juifs et des Roms, dans des conditions tellement épouvantables que les officiers SS s'en plaignaient à Berlin. Le film bosniaque rappelle quant à lui le massacre de Srebrenica de juillet 1995, dont il n'est malheureusement pas nécessaire de rappeler les circonstances. Ainsi un film évoque les crimes dont les Croates se sont rendus coupables envers les Serbes, et l'autre évoque les crimes des Serbes envers les Bosniaques. Il y a tout d'abord des visées bassement électoralistes derrière ces monuments de propagande déguisés en œuvres d'art. En plus de cela, cette histoire illustre ce qui me semble être le plus regrettable des traits de caractère des peuples ex-yougoslaves, je parle de ce qu'on pourrait appeler «le concours perpétuel de la plus grande victime». Les guerres consécutives à la dislocation de la Yougoslavie ont été le point focal des années nonante dans les médias. A la première guerre de ce genre, on y suivait les événements en direct, à la façon d'une série télévisée. La communication et le marketing s'y sont vite imposés comme des armes d'une incomparable efficacité. Sans contestation, les vainqueurs ont été les Croates et les Bosniaques, le monde entier prenant fait et cause pour les agressés contre l'agresseur serbe. La Serbie, qui se considérait à la fois fondatrice et garante de l'unité yougoslave, n'entendait pas céder les acquis de deux guerres mondiales d'un auguste revers de la main, ceci tout en défendant dans une confusion fatale le nationalisme serbe. Appuyés et conseillés par les Américains, les Croates et les Bosniaques n'avaient, eux, qu'à se baisser pour ramasser les fruits de la bêtise criminelle des Serbes, tout en masquant leurs propres turpitudes derrière la nécessité. Pour les Serbes, cette défaite dans la guerre de l'image demeure intolérable. Ils avaient vaincu les Allemands en 1918 et en 1945 dans des sacrifices insensés. Le prestige dont avaient pu se parer le roi Alexandre puis le maréchal Tito sur la scène internationale, c'était la vraie victoire de ce petit peuple qui s'était rangé «du bon côté de l'histoire». Passer du rôle de libérateurs anti-fascistes à celui de boucher des Balkans leur semble, à ce jour, aussi incompréhensible qu'injuste. De leur côté, écœurés de constater que leur statut de vainqueurs ne leur a pas offert la prospérité, et que Belgrade redevient rapidement le pivot économique régional, les Croates et les Bosniaques se sentent trahis par l'histoire et par leurs amis d'autrefois. Et tout ce petit monde ne trouve ainsi rien de mieux à faire que de rappeler en boucle les massacres passés, condamnant ainsi leurs enfants à se haïr mutuellement. Et à se convaincre qu'à eux seuls revient ce titre si convoité de victime.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: