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L’Occident face à la Chine, une question de posture

Camille Monnier
La Nation n° 2188 19 novembre 2021

La Révolution culturelle chinoise, qui se rattache aux dix dernières années de la présidence de Mao Zedong, eut pour objectif l’abolition des quatre vieilleries – les «vieilles idées», la «vieille culture», les «vieilles coutumes» et les «vieilles habitudes». Les gardes rouges veillaient à ce que la Révolution fasse table rase du passé, afin de permettre l’avènement radical d’un état communiste chinois.

A l’inverse, le président actuel de la Chine populaire, Xi Jinping, vise à célébrer le passé afin de réveiller ce qui relèverait de «l’ADN chinois». Ceci non sans scrupules à l’égard d’une certaine réécriture de l’histoire. Il le fait en renouant avec le culte de la personnalité de Mao Zedong, et en voulant rétablir la grandeur de l’empire chinois d’autrefois, qui peut être symbolisé par le règne de l’empereur Qianlong (1735-1796) – quatrième empereur de la dernière dynastie Qing.

Les campagnes militaires sous l’empereur Qianlong portèrent la grandeur du territoire chinois à son paroxysme. Taïwan est alors sous occupation chinoise depuis 1683, la Chine renforce son emprise sur le Tibet en 1750 et les «Nouveaux Territoires», Xinjiang en chinois, sont intégré à l’empire en 1757. Sans oublier la Mongolie extérieure et des terres appartenant de nos jours à la Russie qui composèrent également les territoires de l’empire à cette époque. Ces annexions, mais aussi l’histoire chinoise en général, furent rythmées de purges à grande échelle, de disparitions, et de conspirations politiques dans l’optique d’accaparer le pouvoir. Une culture de la répression qui n’a jamais réellement disparu.

Le regard plein de méfiance et souvent de mépris que nous ressentons envers la politique chinoise d’aujourd’hui n’est pas neuf. Un épisode important dans la constitution de ce regard date de la fin du XVIIIe siècle, lorsque l’ambassade anglaise menée par Lord Macartney en Chine s’avéra être un échec diplomatique cuisant. Cet événement fut par la suite interprété comme la confrontation entre deux empires qui se considéraient comme porteurs de valeurs universelles, mais incompatibles. L’empire britannique se comprenait comme le digne représentant des Lumières, s’adressant d’égal à égal à son homologue chinois selon la tradition diplomatique européenne. L’empire chinois se comprenait, quant à lui, comme le centre d’une cosmologie globale où le roi d’Angleterre tenait une place inférieure. De cette manière, l’empereur Qianlong exigea que Lord Macartney, à l’occasion de sa réception à la résidence impériale, se plie à l’usage chinois de toucher trois fois la terre de son front en signe de respect et d’allégeance au nom de son roi. Celui-ci refusa de manière catégorique.

Ce cafouillage diplomatique eut sa part de responsabilité dans le déclenchement des guerres de l’Opium, la Chine étant alors appréhendée comme une terre à ouvrir de force au commerce occidental, faute de coopération de la part de son empereur.

D’une certaine manière, la politique de Xi Jinping et les réactions occidentales sont révélatrices du fait que nos conceptions n’ont pas tellement évolué depuis. Tant le gouvernement chinois que le monde occidental campent sur leurs positions dans une posture de défiance. Lorsqu’Amnesty International dénonce le 8 novembre 2021 la détention de la journaliste Zhang Zhan1, elle le fait de manière à n’être audible que du public occidentalisé. Le postulat que cette journaliste doit être libérée sans délai et sans condition car elle a «exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression»2 ne prend aucunement en compte que la Chine, comme d’autres pays d’ailleurs, n’aborde pas les questions sociales et sociétales sous l’angle des «droits de l’homme». Ne pas comprendre cette différence de point de vue serait en ce sens analogue à l’ignorance occidentale de la cosmologie chinoise, celle qui sous-tendait la diplomatie tributaire impériale et justifiait la triple prosternation des émissaires étrangers devant l’empereur (le geste du kowtow).

Que faire dans un tel cas? En gros, deux possibilités s’offrent à nous, celle de rester butés à vouloir dialoguer uniquement dans les termes du système occidental, et celle de viser à développer un langage commun entre nos deux «empires de la pensée». Des tisseurs de compréhension mutuelle existent, comme un Jean-François Billeter ou un François Cheng en littérature. En politique, le risque d’être catalogué d’agent d’influence chinois est néanmoins très grand.

Valoriser une meilleure entente en vaudrait néanmoins la chandelle. On évoque de plus en plus régulièrement les risques d’une nouvelle guerre mondiale en réponse à la question de Taïwan, avec un quasi-fatalisme dérangeant. Les risques d’un désastre, possiblement nucléaire, sont certes trop grands pour que les acteurs occidentaux ne fassent pas l’effort de quitter leur piédestal moralisateur pour s’intéresser aux différences – et aux proximités – d’avec la civilisation chinoise. Justifié par le fait que nous n’avons prise que sur notre propre posture.

Notes:

1  Cette journaliste aurait divulgué des informations compromettantes sur la situation à Wuhan en février 2020 relatives au Covid-19. Son état est aujourd’hui critique suite à une grève de la faim datant de juin 2020, entrecoupée par une alimentation forcée.

2  «Une journaliste militante de Wuhan risque de mourir en prison», Amnesty International Suisse, consulté le 10 novembre 2021, https://www.amnesty.ch/fr/pays/asie-pacifique/chine/docs/2021/une-journaliste-militante-de-wuhan-risque-de-mourir-en-prison.

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