«En même temps»
Le président Macron s’est rendu célèbre par la formule: nous ferons ceci et, en même temps, cela. Célèbre et un peu risible, par l’abus qu’il a fait de cette expression, et par la posture qu’il adopte: Jupiter, du haut de sa puissance, embrasse l’ensemble des problèmes et les résout tous en même temps.
Mais, toute moquerie mise à part, n’est-ce pas le défi même de l’art politique de veiller en même temps à plusieurs choses importantes pour la vie du pays? Il faut affirmer et défendre la souveraineté, mais aussi traiter et composer avec d’autres pays; maintenir l’ordre intérieur par la contrainte policière et judiciaire, mais aussi garantir les libertés des personnes; respecter la diversité culturelle, mais éviter le communautarisme; favoriser la mutation de l’économie, mais aussi accompagner ceux qui peinent à suivre le mouvement; gérer de nouveaux besoins collectifs, mais juguler la prolifération administrative; alimenter assez les caisses de l’Etat pour conserver des finances saines, mais restreindre l’appétit du percepteur pour laisser aux personnes privées et aux corps intermédiaires les moyens de leur action autonome. Constamment les gouvernants doivent viser des objectifs disparates, voire contradictoires; donner force à la nation dans la compétition mondiale et la lutte économique, et en même temps veiller au bien-être de la population dans son ensemble. L’exercice du pouvoir est un numéro d’équilibriste.
En période de crise, l’affaire est plus simple – même si la situation est plus dramatique – quant au choix des priorités. Salus publica suprema lex esto. On ne discute plus guère du confort social ou de la charge fiscale. Peut-être est-ce pour cette raison que beaucoup de grands politiques sont entrés dans l’histoire à la faveur des guerres et des troubles auxquels ils ont été confrontés.
Dans une situation normale, les meilleurs magistrats seraient-ils alors ceux qui veillent si bien aux équilibres politiques et sociaux que leur action passe inaperçue? Le comble de l’art de gouverner résiderait-il dans un prudent pragmatisme attentif à tous les besoins? Dans la période de sa toute-puissance, disons depuis Ruchonnet jusqu’au milieu du XXe siècle, le parti radical vaudois n’avait guère de doctrine clairement formulée; il lui suffisait d’occuper le pouvoir, c’était sa raison d’être. Et il le faisait en tenant assez bien la balance entre l’étatisme (il y en avait une bonne dose dans son ADN) et le sens des libertés personnelles et professionnelles (leurs meilleurs notables ne venaient pas de la fonction publique). Mais c’était une époque où les idéologies collectivistes n’avaient pas encore gangrené le corps social.
A l’heure actuelle, la tendance ultra-dominante veut que la main publique doive tout empoigner. La santé a son prix? Subventions à la pelle. Le sport fait du bien? L’Etat se doit donc d’allonger quelques dizaines de millions. La question du genre est-elle délicate? L’école en traitera. Les jeunes pousses de la technique se multiplient? Le Canton ouvrira sa bourse pour qu’il y en ait davantage encore. Le marché du travail est asséché, mais quelques sexagénaires peinent à retrouver un emploi confortable et bien rémunéré? Les services sociaux offriront la rente-pont. Et cætera.
S’il veut adopter la pratique de tout faire en même temps, face à cette infinité de revendications, le pouvoir dispersera son action et conduira ses finances à l’abîme. Il est donc plus que jamais nécessaire de se concentrer sur l’essentiel, et pour définir cet essentiel, de fixer une ligne selon une vision politique qui consiste à choisir. Le président Macron, confronté il est vrai à la pandémie, n’a pas su se dégager de sa sollicitude universelle et son image reste brouillée. Chez nous, le Conseil d’Etat a profité pendant une dizaine d’années de la haute conjoncture et d’une fiscalité abusive pour enfler son administration dans tous les domaines, ou presque. Son principal choix stratégique, durant des lustres et jusqu’à récemment, a consisté à distribuer beaucoup, en salaires et en subsides, et à investir insuffisamment.
La majorité gouvernementale ayant changé, il s’agit maintenant de recentrer l’action de l’Etat et de couper quelques branches folles. Le rééquilibrage financier à l’égard des communes donnera aux forces associatives et publiques locales le moyen de renforcer l’accueil de la petite enfance, dont les exigences légales doivent être assouplies. L’école réapprendra à apprendre. Les partenaires sociaux seront invités à développer la formation continue grâce à des fonds interprofessionnels exemptés d’impôt. Les acteurs privés de la santé retrouveront une meilleure liberté d’action. Beau programme, dont tous les éléments – puisqu’il s’agit de désengager l’Etat et que cela ne coûte rien – pourront être réalisés en même temps.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La mobilité comme un miroir – Editorial, Félicien Monnier
- Chronique historique – Antoine Rochat
- L’énergie des Vaudois: état des lieux – Cédric Cossy
- Sonnet de la brosse et du balai – Daniel Laufer
- Un cher et fidèle Confédéré – † Roberto Bernhard (1929-2022) – Olivier Delacrétaz
- Occident express 103 – David Laufer
- Zoologie frontalière – Benoît de Mestral
- Chronique sportive – Antoine Rochat
- Soldats contre guerriers: les volontaires dans les armées – Edouard Hediger
- Mort aux vaches! – Le Coin du Ronchon