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Le match Karlsruhe – Luxembourg

Jean-François Cavin
La Nation n° 2212 21 octobre 2022

La Revue des Deux Mondes de septembre1 publie un intéressant article d’Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université de Rennes et constitutionnaliste de renom, sous le titre La leçon de démocratie et d’Etat de droit de la Cour de Karlsruhe, qui démontre l’irrespect du droit des autorités de l’Union européenne, y compris la Cour de Justice de Luxembourg.

La Cour constitutionnelle allemande s’est en effet opposée à l’Union européenne, sur le principe et dans un cas d’espèce, en affirmant la primauté des principes les plus sacrés du droit de la RFA sur le droit européen. Il faut préciser ici que la Constitution allemande connaît une clause dite «d’éternité», qui interdit de toucher aux normes essentielles de la dignité de la personne et de ses droits fondamentaux, de même qu’au caractère fédéral, social et démocratique de l’Etat. En 2009, les juges de Karlsruhe ont ainsi affirmé la primauté des règles «d’éternité» allemandes sur le droit européen et leur propre compétence d’exercer ce contrôle, la Cour de Justice de l’Union n’ayant pas, pour sa part, la compétence de fixer sa propre compétence.

Le cas d’espèce concerne le rachat d’actifs d’Etats membres, lors de la crise financière, par la Banque centrale européenne, contesté comme contraire aux traités de l’Union (interdiction d’un financement monétaire des Etats par le BCE), mais validé par la Cour de Luxembourg. Les juges allemands ont déclaré cette décision contraire au droit européen, la Cour de justice de l’Union ayant de surcroît statué ultra vires, c’est-à-dire par excès de pouvoir, violant ainsi l’Etat de droit; la dite décision ne devait donc pas être exécutée par la RFA.

Puis l’affaire se corse: face à une telle indiscipline, la Commission de l’UE s’est sentie obligée d’ouvrir une procédure de «manquement» contre l’Allemagne (eh! oui, Mme von der Leyen contre Mme Merkel!), comme elle l’avait fait dans d’autres circonstances contre la Pologne et la Hongrie suspectes de bafouer l’indépendance du pouvoir judiciaire; on n’a guère parlé de cette démarche dans notre presse europhile… Mais, comme on ne bouscule pas aisément Berlin, la Commission a abandonné cette procédure, dans des circonstances peu claires, prétextant avoir reçu des gages de bonne volonté.

L’opposition entre les cours de Karlsruhe et de Luxembourg met en évidence le risque inhérent à l’idée d’une union européenne «toujours plus étroite», inspirant la propension de la Cour de justice de l’UE à interpréter extensivement les traités fondant l’action communautaire, voire à pratiquer une jurisprudence «créative» qui ignore les textes.

Du point de vue helvétique, on ne saurait en tirer des conclusions simplistes. D’abord parce que notre pays est moins fort que le plus puissant membre de l’Union. Ensuite parce que notre Constitution ne connaît pas de normes «supraconstitutionnelles» intangibles. Mais l’épisode allemand nourrit notre méfiance envers l’instabilité juridique du régime de l’UE, envers les innovations imprévisibles de sa Cour de justice, et justifie que nous soyons pointilleux sur le respect de notre ordre constitutionnel et sur les clauses d’arbitrage dans tout accord institutionnel. Dans une récente interview de 24 heures, l’ambassadeur de l’UE en Suisse dit que Bruxelles a fait d’amples concessions à la Suisse dans les négociations que Berne a finalement abandonnées, ce qui n’est pas faux (sauf qu’il ne s’agissait pas de concessions, mais de la recherche d’un système équilibré entre partenaires égaux en droit); toutefois il se garde d’évoquer les risques inhérents à une «dynamique communautaire» contaminant la Cour de justice et susceptible d’échapper à tout contrôle.

Notes:

1   Périodique de qualité, puisqu’il publie dans ce même numéro un Occident express de David Laufer, cherchant ainsi à se hisser au niveau de La Nation.

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