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Petite histoire de la violence (guerres et homicides)

Jacques Perrin
La Nation n° 2226 5 mai 2023

La violence fait mal. Elle s’en prend au corps. L’homme violent cogne, fend, déchire, transperce, dévore, viole et tue. Seul l’homme est cruel, les animaux ne le sont pas. L’homme choisit de faire mal, la survie de l’espèce contraint l’animal à lutter.

La guerre concentre presque toutes les formes de violence: le génocide, l’homicide, le viol, la mise en esclavage, voire l’anthropophagie. Un tiers de la population européenne a péri durant la guerre de Trente Ans. La Deuxième Guerre mondiale a fait 40 millions de morts dont 25 millions de Soviétiques. Le paléolithique ne connaît que des affrontements sporadiques. Au néolithique, les tribus se sédentarisent et accumulent des biens; des villes-Etats apparaissent, qui se font la guerre. La nature technique du genre humain s’affirme dans les combats. Le silex taillé prolonge la main et le bras de l’homme qui se sert ensuite de la lance, de l’épée, de l’arc; le cheval et la roue sont militarisés; le bouclier, la cuirasse puis le blindage assurent une protection. Le combattant s’éloigne encore plus de son ennemi grâce au fusil, à la mitrailleuse et au canon, à l’avion de chasse, à la bombe, au drone. Grâce à sa supériorité technique, l’Occident a dominé le monde durant deux siècles. La guerre tue toujours plus, mais elle «s’humanise». Protégés par des conventions internationales, les prisonniers de guerre sont mieux traités, les blessés soignés. L’humanisation de la condition militaire succède à l’horreur croissante qu’éprouvent les civils devant la violence et le meurtre. Les Etats développés visent, dans leurs rangs, une guerre zéro mort, à distance, organisée par des militaires professionnels. Les Occidentaux, libérés pour la plupart du service militaire, répugnent à s’engager pour la défense nationale.

L’homicide, acte individuel, est licite à la guerre, proscrit en situation de paix. C’est un interdit fondamental dans presque toutes les religions: Tu ne tueras point. Dans les sociétés féodales existait néanmoins un fort risque de mourir assassiné. On tient un compte assez précis des homicides depuis plusieurs siècles. En France, en 2012, le taux d’homicides était de 1 pour 100’000 habitants (650 meurtres et assassinats). Au XIIIe siècle, il se montait à 100 pour 100’000. L’homicide comporte aujourd’hui des caractéristiques universelles. 85% des auteurs sont des hommes jeunes de 18 à 35 ans, issus à 90% de milieux «populaires», mal partis dans la vie, à la situation familiale et au parcours scolaire chahutés, soumis à une éducation violente. Les victimes sont des femmes pour un tiers, souvent tuées à domicile. Les bagarres entre jeunes blessent et tuent. Les causes des homicides sont rarement un coup de folie, plutôt la jalousie, le ressentiment, l’atteinte à l’honneur, la réponse à une provocation, la vengeance. Il existe des cultures où l’emprise de la violence est forte parce que l’éducation y est brutale (par exemple l’Allemagne de la fin du XIXe et du début du XXe siècle). L’hétérogénéité ethnique et religieuse est favorable à un taux d’homicides élevé. La présence et la force de l’Etat sur un territoire donné diminue le taux d’homicides, très variable sur la planète. Il est élevé en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Afrique centrale et méridionale. Il ne prend pas en compte les homicides causés par les conflits militaires. Entre 2015 et 2017, le Salvador (82,8 sur 100’000), le Honduras (56,5) et le Venezuela (56,3) sont en tête. Se situent entre 34,0 et 10,0 les grands pays suivants, dans l’ordre décroissant: Afrique du Sud, Brésil, Colombie, Mexique, Congo, Nigéria. La Russie (10,8) est le premier pays européen mentionné, devant l’Ukraine (6,3) et la Lituanie (5,3). Les Etats-Unis sont à 5,4, l’Inde à 3,2, l’Allemagne et le Royaume-Uni à 1,2, l’Italie à 0,7, la Chine à 0,6, la Suisse à 0,5, le Japon et l’Islande à 0,3. Cinq tout petits pays dont le Liechtenstein sont à 0.

Le taux d’homicides a beaucoup baissé en Europe. Durant le Moyen âge, la brutalité est normale. L’homicide est rarement puni, le port d’armes admis. Il faut défendre son honneur, prouver sa force. Du début de l’Ancien Régime à aujourd’hui, le taux a été divisé par 100. La sensibilité à l’égard du meurtre a augmenté à la fin du XVIIIe siècle à cause de l’individualisme naissant qui dispense de l’obligation de défendre l’honneur familial ou clanique. C’est ce que le sociologue Norbert Elias a nommé le processus de civilisation des mœurs. L’emprise de l’Etat a diminué l’envie de se faire justice soi-même. Le duel a disparu. Les codes de savoir-vivre et la politesse ont adouci la vie quotidienne. En Europe septentrionale, on a commencé à sévir tôt contre les violences physiques et même psychologiques dans la famille ou à l’école. Il y a des exceptions, en période de guerre naturellement, à l’intérieur du foyer domestique et dans les pays où un fort taux d’immigration favorise la création de ghettos: on y revient aux rudes coutumes du pays d’origine sous une forme plus rigoureuse.

Les tueurs en série, dépourvus d’empathie, multiplient les homicides. Ils n’ont en général aucun lien avec leurs victimes. De Charles Manson à Marc Dutroux ou Anders Breivik, les noms des tueurs en série demeurent dans les mémoires. Ce n’est pas la folie qui les pousse au crime, ils sont responsables de leurs actes, affichent tous de bonnes raisons et procèdent avec méthode. Certains tueurs en série profitent des guerres et du terrorisme pour dissimuler leurs forfaits sous couvert du devoir militaire ou d’idéologie. Ils deviennent des chiens de guerre, comme Ajax, héros de l’Iliade, régulièrement saisi de fureur homicide; le capitaine Conan, nettoyeur de tranchées, dans l’excellent roman de Roger Vercel; le lieutenant William Calley qui anéantit avec sa section entre 350 et 500 civils vietnamiens à My Lai le 16 mars 1968; ou certains tueurs de l’Etat islamique dont même Al Qaïda se démarque à cause de leur cruauté revendiquée et affichée sur les réseaux sociaux.

Notes:

Nous tirons nos informations du livre de Philippe Breton: Une brève histoire de la violence, JC Béhar 2015, et nos statistiques de Wikipédia.

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