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Jean Daniel Abraham Davel

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2226 5 mai 2023

Etaient-ils donc les derniers fidèles, ces Zofingiens qui se retrouvent à l’aube de chaque 24 avril au pied de la statue du Major? Certainement pas. Il y eut, tout ce temps, des libations privées et des transmissions familiales.

Aux siècles précédents trois artistes, Juste Olivier et son Major Davel (1842), Gleyre et sa monumentale (presque trois mètres sur trois) Exécution (1850), puis Ramuz et son incantatoire Hommage au Major, prononcé à Cully lors du bicentenaire, avaient fait de Davel le héros incontestable de notre indépendance.

En 1970, L’Affaire Davel de Marianne Mercier-Campiche avait clos la recherche historique sur les événements de l’époque et livré le dossier de la cause.

Suivons notre ancien archiviste cantonal Gilbert Coutaz pour considérer que s’est ensuite ouverte une «période d’incertitude dans un climat de dénégation» 1. Les babas, radicaux puis socialistes, occupent alors le pouvoir. L’Etat de Vaud ne fait strictement rien pour promouvoir la figure du Major. Malgré son maintien dans les manuels scolaires jusqu’en 2022, les élèves semblent s’y frotter de moins en moins. L’ambiance générale est aux casseurs de mythes et un Michel Thévoz railleur dénonce en 1980 que «dès qu’il est question du Major Davel, les historiens vaudois mettent le genou à terre».

La même année, le lamentable et mystérieux incendie du tableau de Charles Gleyre suscite ce qui paraît être le dernier sursaut davélien de l’opinion vaudoise. Mais les recherches continuent. Elles se focalisent sur le contexte et la réception de l’aventure. En 1998, pour une question de procédure, les Zofingiens – encore eux! – échouent à obtenir la révision du procès.

Les Vaudois n’avaient donc pas oublié Davel. Mais parce que nous pensions trop bien le connaître, nous avons supposé un peu trop vite qu’il n’aurait plus rien à nous dire. L’exaltation populaire de 1923 a fini par laisser place à l’indifférence quasi-générale. Davel, d’objet de dévotion est passé au statut d’objet d’étude. Il faut garder cela à l’esprit avant de revenir sur les festivités qui ont marqué la semaine dernière.

Car en théorie, nous aurions pu faire beaucoup plus que ce que nous avons vécu ces derniers jours. Le bataillon de carabiniers 1 aurait pu défiler à Saint-François, et la CGN parader devant Cully. Les communes auraient pu pavoiser leurs rues et faire défiler les écoles… le jour de la rentrée. On aurait résolu les problèmes de place inhérents aux grandes manifestations en investissant le Stade de la Tuilière au lieu de la grande tente du Cully Jazz. On aurait invité tous les Vaudois, et pas seulement les habitants de Lavaux. Dimanche 23 avril, un immense culte à la Cathédrale aurait rappelé combien sa foi fut un moteur pour Davel. Les cloches de tout le Canton auraient battu à la volée à l’heure de la décapitation.

Tout cela aurait demandé cinq années de préparation et des moyens colossaux. En 1898, pour l’édification de la statue de la place du Château, presque tous les chefs politiques du Canton s’étaient retrouvés dans le comité d’organisation. 2023 ne nous fit vivre ni cette unité, parasitée par la très opportuniste tentative de réhabilitation lancée par les Verts, ni cet enthousiasme, absorbé par les élections cantonales. Sans compter que les habitudes festives de la population ont changé. Et que globalement, «il y avait trop», entre les vacances de Pâques et les 20 Kilomètres de Lausanne.

Le temps assurément, l’argent peut-être, ont manqué à la préparation des festivités officielles. M. Vincent Grandjean, Chancelier d’Etat honoraire, a, malgré ces vicissitudes, assuré le suivi et la coordination des événements. Lundi 24 avril à Cully, il a œuvré avec solennité et délicatesse comme maître de cérémonie. Nous sommes heureux que le Canton lui ait offert cette manière de consécration.

En fait, il aurait très bien pu ne rien y avoir. Cela a tenu à quelques personnes seulement. Et entre un opéra, plusieurs spectacles, une exposition dans les gymnases, diverses publications et animations et un colloque universitaire, l’année Davel est une réussite culturelle et politique; qui appelle bien sûr certaines réserves.

Nous regrettons ainsi amèrement que l’Eglise n’ait pas été associée à la manifestation officielle, ou qu’elle n’ait pas exercé un lobbyisme suffisant pour y paraître. Tout au long de son supplice, Davel n’a cessé d’invoquer l’inspiration divine de son geste. En se gardant de rappeler la foi du Major, on a empêché son acte de retrouver toute son ampleur.

Ces derniers jours ne furent pas moins l’occasion d’inattendues prises de position. Nous ne sommes pas près d’oublier la surprise générale que le gymnasien Batuhan Sahin suscita à Cully par son discours que tout le monde s’attendait déjà avec lassitude à voir ériger Davel en militant climatique. Après avoir déploré l’insuffisance de l’enseignement de l’histoire vaudoise à l’école, il dira sa «fierté d’avoir une figure héroïque qui représente le lieu d’où je viens». Et le chef de file des maîtres d’histoire du Gymnase, Dominique Dirlewanger, de se réjouir devant près de mille personnes qu’il «existe encore des patriotes chez les gymnasiens vaudois».

La Présidente du Conseil d’Etat a clos les festivités à Cully. La continuité que Madame Luisier a établie entre le sacrifice de Davel et l’avènement de la démocratie en Pays de Vaud nous paraît bien excessive. Cette récupération est aussi boiteuse que celle qui voit en Davel un précurseur des zadistes du Mormont. La souveraineté n’implique pas la démocratie. Les radicaux continuent toutefois de le penser.

En revanche, «Il (Davel) n’est pas la propriété d’un parti politique. Il est lié à tout un Canton. Notre Canton. Et si son souvenir doit nous laisser quelque chose, c’est une conviction: celle que l’engagement pour sa patrie n’est jamais vain» a déclaré non sans émotion Madame Luisier en conclusion de son discours. Nous retiendrons cette forte affirmation de l’unité et de l’identité du Pays.

Puisse maintenant le fantôme du Major murmurer à l’oreille de nos autorités que toute centralisation consentie, toute compétence supplémentaire transférée à Berne le décapitera une nouvelle fois.

Notes

1   Gilbert Coutaz, Le Major Davel, Editions Châteaux et Attinger, Orbe 2022, p. 193.

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