La Suisse, l'asile et les étrangers
Le 24 septembre prochain, nous devrons nous prononcer sur deux lois relatives à la politique migratoire de la Suisse: la LAsi et la LEtr.
Ces deux objets, votés par le parlement fédéral à la fin de l’année dernière, ont été attaqués par deux référendums soutenus par le parti socialiste, les associations de soutien aux réfugiés et les Eglises. Pour ces mouvements, les deux projets du Conseil fédéral «multiplient les dissuasions et les mesures d’exclusion à l’égard des réfugiée- s» et «vont pousser dans la clandestinité des milliers de personnes pour en faire des sans-papiers». Car, d’après un communiqué de l’Association ATTAC Suisse, «A l’heure de la libre circulation des personnes, nous refusons cette logique d’exclusion et de discrimination qui enferme sur les erreurs du passé. Nous voulons vivre ensemble, développer de nouvelles solidarités et construire un autre monde que celui du rejet et de la haine.»
Si nous nous attachons à l’analyse précise des lois qui sont proposées à l’approbation des citoyens suisses, nous découvrons que, dans les deux projets, il s’agit surtout d’inscrire dans la loi des mécanismes existant déjà en vertu d’ordonnances ou en pratiques, et de tenter de pallier à certains défauts du système sans toutefois le remettre en cause.
Le droit d’asile
La révision de la loi sur l’asile n’est qu’une révision partielle d’une loi votée en 1998. Cette révision ne modifie aucunement la politique globale d’asile de la Suisse. Si elle ne considère pas qu’il est du devoir de notre pays d’accueillir toute personne désireuse de s’y établir, comme le voudrait certains lobbies, elle considère toujours implicitement que le droit d’asile est un droit de l’homme dont certains individus sont titulaires en vertu de critères objectifs.
Nous estimons, au contraire, que, conformément à la conception traditionnelle, le droit d’asile est le droit d’un Etat souverain d’accueillir sur son sol qui il entend, même un étranger que son Etat d’origine a condamné ou recherche. Selon cette conception, l’Etat est libre d’accueillir des personnes persécutées en fonction des critères politiques qu’il a lui-même définis, entre autres sa capacité d’accueil. Cette vision est fondamentalement incompatible avec la vision droit-de-l’hommiste, par laquelle un Etat renonce à toute souveraineté dans le domaine de l’asile, acceptant qu’il doit accueillir un nombre infini d’étrangers pour autant que ceux-ci remplissent les critères établis par des instances internationales.
La Suisse a longtemps été un pays d’émigration. En fonction de sa politique étrangère et des besoins de son économie, elle avait alors soit encouragé ce phénomène, envoyant ses mercenaires défendre les couronnes européennes, soit endigué ce flux, réglementant les entreprises d’émigration. Aujourd’hui, la Suisse est un pays riche qui fait face à une très forte demande d’immigration principalement pour des raisons économiques. Nous estimons que notre pays doit pouvoir choisir ceux qu’il entend accueillir en fonction des besoins de son économie, de la capacité d’assimilation de sa population, de sa politique étrangère.
Au lieu de cela, la politique d’asile de la Suisse est tout empreinte de grands principes généreux et ouverts lui imposant d’accueillir tous les opprimés de la terre qui veulent s’y établir. Mais, forte de ses principes solidaires, elle s’empresse d’en réduire la portée pratique par une foule de mesures «préventives», de règlements et de mécanismes mesquins et bancals.
Le rôle d’un gouvernement n’est pas d’être généreux, il doit défendre les intérêts de son pays et de son peuple. Les citoyens eux peuvent être généreux. Il est cependant plus facile de critiquer la politique migratoire de la Confédération et de se gausser du sentiment d’insécurité à Bex que d’accueillir un couple de requérants dans son cinq-pièces…
La loi sur l’asile
Nous regrettons donc que la révision de la loi sur l’asile ne remette pas en cause les fondements même de la politique suisse en la matière et se contente d’apporter quelques correctifs au système, certes un peu dérisoires, mais allant tout de même dans le bon sens puisqu’il s’agit, d’une part, d’accélérer les procédures sur l’octroi de l’asile, d’autre part, d’encourager les cantons à exécuter les renvois décidés en leur accordant une autonomie plus grande.
Ainsi, le projet autorise le renvoi, sans entrée en matière sur leur demande d’asile, des personnes en provenance d’un Etat jugé sûr, cette faculté étant assortie de diverses conditions garantissant la sécurité de la personne renvoyée.
Une procédure rapide pour les personnes arrivant dans un aéroport suisse est mise en place, par laquelle les autorités pourront statuer dans un délai de vingt jours, un recours pouvant ensuite être déposé puis traité chaque fois dans un délai de cinq jours. Une procédure analogue sera possible dans les centres d’enregistrements. Nous estimons que cette procédure accélérée, intervenant avant même que le requérant n’ait pu «prendre racine» sur notre territoire répond pleinement aux intérêts de la Suisse, mais aussi du requérant qui est immédiatement fixé sur son sort.
Une troisième nouveauté du projet est la création d’un statut de personne admise «pour raisons humanitaires». Actuellement, de nombreux requérants déboutés ne sont provisoirement pas renvoyés dans leur pays parce que le Conseil fédéral estime que les conditions d’un retour ne sont pas remplies. L’expérience a cependant montré que le provisoire pouvait durer (guerre en Yougoslavie) et qu’après plusieurs années de séjour en Suisse, il était difficile de procéder à des renvois (crise des «523»).
Ainsi, les personnes dont le renvoi n’est pas probable avant plusieurs années seront admises «pour raisons humanitaires». Ce statut donne droit à l’accès au marché du travail et au regroupement familial, il ne donne en revanche pas de droit à l’octroi d’une autorisation de séjour, les cantons restant compétents pour octroyer un tel permis en fonction de l’intégration de la personne en Suisse. Si ce statut répond à un problème pratique épineux auquel sont confrontées les autorités (il est en pratique impossible de renvoyer quelqu’un après cinq ou dix ans de séjour en Suisse), il paraît tout de même choquant par rapport à la politique d’immigration très restrictive de la Suisse envers les extra-européens. Cependant, la seule alternative serait de renvoyer des personnes dans des pays en guerre…
Le deuxième volet de la révision de la loi sur l’asile concerne le financement de l’aide sociale. Comme dans le système actuel, les cantons sont les dispensateurs de l’aide décidée et financée par la Confédération. La nouveauté du projet revient à subventionner les cantons non au vu des personnes effectivement à leur charge, mais par une enveloppe globale calculée en fonction des frais moyens qu’engendrent les requérants pour l’ensemble des cantons. Ainsi, un canton aux renvois prompts et à l’administration efficace pourra faire des réserves, alors que le Canton de Vaud devra payer de sa poche sa politique laxiste et populiste. Nous souhaitons que cette politique budgétaire par enveloppe incite les cantons à faire usage de leur autonomie et à prendre leurs responsabilités politiques.
La loi sur les étrangers
Le projet de loi sur les étrangers est une révision totale de la loi actuelle (LSEE). Il intègre dans son texte de nombreux points aujourd’hui réglés par des ordonnances ou d’autres actes législatifs, voire des pratiques administratives.
Conformément aux accords bilatéraux signés par la Suisse et instaurant, après une période transitoire, une libre circulation des personnes, les citoyens des pays membres de l’Union européenne (UE) ou de l’Association européenne de libre échange (AELE) peuvent entrer librement en Suisse et obtenir un permis de séjour, puis d’établissement. Les ressortissants de tous les autres pays de la planète ne peuvent s’installer en Suisse en vue d’y exercer une activité lucrative que s’ils sont hautement qualifiés et que leur futur employeur prouve qu’il n’a pu trouver un travailleur correspondant au profil recherché en Suisse ou en Europe!
C’est la politique des cercles déjà appliquée aujourd’hui. Pareillement, en vertu d’une loi sur l’intégration dont l’entrée en vigueur toute récente est passée inaperçue, un étranger peut recevoir une autorisation d’établissement (définitive) après avoir résidé en Suisse pendant cinq ans (au lieu de dix normalement), si l’office cantonal compétent estime qu’il est bien intégré, en particulier qu’il maîtrise une langue nationale.
La nouvelle loi prévoit cependant que le séjour d’un étranger en Suisse en vue d’accomplir une formation n’est pas compris dans le compte des cinq ans. On accentue donc encore cette politique très accueillante pour des étudiants dans nos universités et écoles, étudiants que l’on renvoie une fois leurs diplômes obtenus au moment même où ils pourraient faire bénéficier l’économie des efforts mis dans leur éducation, laissant souvent d’autres Etats occidentaux moins scrupuleux en profiter.
La nouvelle loi amène quelques simplifications dans les procédures, les types de permis octroyés et permet une plus grande flexibilité en matière de résidence et de travail des étrangers au bénéfice d’un permis de séjour (type B). Par exemple, l’hôte privé d’un étranger ne sera plus soumis à déclaration.
En matière de regroupement familial, la nouvelle loi prévoit une série de mesures visant à lutter contre les mariages blancs, ajoutant même trois nouvelles dispositions au Code Civil dont nous traiterons dans un autre article.
La loi prévoit aussi, en passant, une compétence de la Confédération en matière d’encouragement à l’intégration des étrangers, visant à la création «des conditions propices à l’égalité des chances et à la participation des étrangers à la vie publique» et, évidemment, au versement de subventions. Le projet n’amène cependant aucune atteinte centralisatrice nouvelle par rapport à la Loi sur l’intégration déjà en vigueur.
Les principales innovations du projet concernent les étrangers en situation illégale en Suisse («les sans-papiers et sans-papières»).
Dans ce domaine, la Confédération propose plusieurs mesures visant à renvoyer rapidement les personnes résidant sans droit sur notre territoire et à décourager leur arrivée. Comme carotte, il n’est guère prévu que la possibilité pour la Confédération d’octroyer une aide au retour dans certains cas. Les mesures dissuasives sont nettement plus étendues. Désormais, un étranger ne pourra plus rester provisoirement en Suisse dans l’attente d’une décision sur son cas, mais devra l’attendre dans son pays d’origine. Des renvois immédiats à l’aéroport seront possibles. Les compagnies aériennes auront même un devoir de diligence en la matière, et pourront se voir obligées de reprendre leurs passagers refoulés et recevoir des amendes.
Les mesures de contrainte
La partie la plus contestée des nouvelles lois est le renforcement des mesures de contraintes qui permettront la détention d’étrangers, soit en vue d’un renvoi, soit pour instruction, soit encore pour insoumission. La détention pourrait, dans certains cas, aller jusqu’à deux ans. S’il est vrai que la détention de personnes non (encore) condamnées pose problème dans un Etat de droit, il faut relever que seules des personnes refusant leur coopération avec une mauvaise foi certaine ou n’ayant pas respecté des injonctions de l’autorité pourraient se voir imposer ces mesures de contrainte. La légalité de cette détention devra être périodiquement examinée par un tribunal indépendant.
Ainsi, à notre avis, ces mesures de contraintes, certes intrusives, ne posent pas fondamentalement d’autres problèmes que ceux existant pour la détention préventive dans le cadre d’une instruction pénale et dont l’utilité n’est pas contestée. Il semble en effet que les mesures proposées sont proportionnées pour éviter les abus et assurer la coopération ou l’expulsion des personnes concernées.
En conclusion, contrairement à ce que prétendent les milieux référendaires, ces lois s’inscrivent dans la tendance des législations européennes actuelles. Si elles contiennent effectivement certains renforcements des mesures coercitives actuelles, elles ne modifient pas globalement la politique migratoire de la Suisse.
Nous regrettons que le gouvernement helvétique refuse de sortir de cette conception hypocrite du droit d’asile qui prétend que la barque n’est jamais pleine, tout en prévoyant une nuée de mesures parfois dérisoires pour colmater les brèches de la coque. Cependant, nous estimons que les projets qui nous sont soumis en votation le 24 septembre apportent tout de même quelques nouveautés et correctifs bienvenus. C’est pourquoi, sans grand enthousiasme, nous voterons deux fois OUI.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Bex abandonnée – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Intégration et désintégration – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Les «523» – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Louis XVI, une nouvelle bibliographie (suite) – Georges Perrin
- Quelle place pour l'histoire vaudoise à l'Université? – Antoine Rochat
- Juvenilia LXVI – Jean-Blaise Rochat
- Canal du Rhône au Rhin ressuscité? – Philibert Muret
- Chronique sportive – Antoine Rochat
- Insupportable – Le Coin du Ronchon