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Armoiries et logos

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1879 1er janvier 2010

La politique vaudoise de fusions des communes a ravivé l’intérêt de la population pour les armoiries. C’est heureux. Pour lever quelques confusions possibles et détourner les créateurs de réalisations contraires à l’esprit de l’héraldique, nous voudrions attirer leur attention sur les différences de logique et d’esthétique qui séparent et quelquefois opposent les armoiries et les logos.

La première différence est qu’un blason – il y en a plus d’un million en Europe – se rattache à un code reconnu par tous. Parler de coupé, par exemple, de bande, de lion ou de demi-vol, c’est évoquer une image identique pour tout le monde. Inversement, toute partition, toute pièce, tout meuble correspond à un terme précis. Toute armoirie peut se lire, se blasonner avec précision, et un blasonnement convenablement énoncé permet de redessiner l’écu avec certitude.

Bien entendu, il peut y avoir des problèmes d’interprétation et de nomenclature. Certains éléments comme le diapré qui adorne des surfaces importantes sont laissés à la libre décision du peintre. Faut-il vraiment qualifier le chat des armoiries de Vaugondry de hérissonné? Contrairement à Gheusi, puriste dur d’entre les durs, qui rejette le terme avec vigueur, Galbreath l’accepte sans états d’âme. Le même affirme dans son manuel irremplaçable que la notion d’armoiries à enquerre (la formule s’utilise à propos d’armoiries qui contreviennent à une règle pour un motif dont il convient de s’enquérir) est une distinction «oiseuse». Mais ce sont là des problèmes qui se posent à la périphérie de n’importe quelle langue.

Le logo, lui, n’est qu’une image. Il ne renvoie pas à un texte et aucun texte ne renvoie à lui. On peut bien le décrire, plus ou moins précisément, mais on ne le blasonne jamais. Il n’a pas besoin de se soumettre aux exigences d’un langage commun. Au contraire même, son rôle est d’exprimer l’originalité de l’entreprise qu’il représente, ce qui induit le graphiste à s’affranchir du déjà vu et du déjà fait. Le logo se contente d’être significatif et plaisant à voir. Représentatif de la modernité, il est individualiste et vaut par sa nouveauté.

Au contraire, la plupart des armoiries communales se rattachent au passé. Ce peut être à une famille dont une commune relève tout ou partie des armoiries, ou les brise par une modification secondaire. Ainsi des armoiries d’argent semé de billettes de sable au lion du même, lampassé de gueules des Gingins (Bogis-Bossey, Lussery-Villars, Chevilly), du palé d’argent et d’azur de Grandson (Ursins, Mathod, Mauborget, Grandcour, Champvent) et du fascé d’azur et d’argent des Quisard (Vinzel, Borex, Arnex-sur-Nyon). On retrouve les deux colonnes d’argent du Grand-Saint-Bernard dans plusieurs communes (Pizy, Montpreveyres) et les émaux d’argent et de gueules du Chapitre de Lausanne dans de nombreuses autres, notamment broyardes. Un blason peut aussi se référer à un haut fait, comme la lutte du pasteur Martin contre la dîme sur la pomme de terre que les Bernois entendaient prélever et que les armoiries de Mézières sauvent à jamais (sous réserve de fusion) de l’oubli, ou à un original comme Daniel Moginié, paysan et voyageur du XVIIIe siècle, dont le lion persan de Chesalles-sur-Moudon évoque les aventures en Orient. Ce peut être, lors de la division d’une commune, le rappel sur les deux parties de la commune d’origine: quand Ferlens s’est séparé de Servion, cette dernière a relevé les armoiries attribuées à la famille des Servion. Ferlens les a reprises aussi, mais en remplaçant la bande de gueules brochante desdites armoiries par un fer de lance.

Alors que les logos sont quelque chose de sérieux, même celui de «La Vache qui rit» créé par Benjamin Rabier, il y a toujours une certaine distance en héraldique, parfois même un humour discret. Les escargots affrontés au naturel et coquillés d’or des armoiries de Marnand font rire dès qu’on imagine les effets effroyables d’une collision, qui menace depuis 1925, date approximative de leur création. Autre trouvaille spirituelle, l’écrevisse de gueules d’Onnens se trouve amputée de sa pince à senestre; on retrouve cette pince sur l’écu de Montagny-près-Yverdon. Rappelons aussi les armoiries parlantes, les jumeaux de Gimel, ou faussement parlantes comme les matous de Mathod et le paon (Pfauen) de Faoug, sans parler des à-peu-près et des jeux de mots, tel le fer de lance déjà mentionné de Ferlens.

La création et l’originalité sont possibles en héraldique, mais à l’intérieur du cadre matériel de l’écu et de celui immatériel de l’usage. La nouveauté doit se plier aux règles héraldiques, y compris les règles, non détaillées en articles, de l’élégance et du bon goût. Ce sont les Archives cantonales vaudoises qui décident en dernier ressort de la conformité d’un projet d’armoiries communales. Les personnes compétentes sont pointilleuses à l’extrême, et il faut s’en féliciter. Dans un monde où toute tradition est suspecte et où toute nouveauté, même la plus blette, est considérée d’emblée comme meilleure que ce qu’elle prétend remplacer, on n’ose penser au chenit héraldique que seraient les armoiries communales sans ce contrôle. Les logos-armoiries de certaines régions nous en donnent une idée.

Les logos, comme les armoiries, doivent être immédiatement lisibles, ce qui demande un effort de simplification au créateur. La différence est que le peintre héraldiste simplifie par stylisation, tandis que le graphiste simplifie par abstraction. Le premier conserve la chose, le deuxième conserve l’idée de la chose, dont il donne la représentation graphique la plus immatérielle et la plus dépouillée possible. A quelques dixièmes de millimètres, un logo est parfait ou raté. Dans la stylisation héraldique, il subsiste une sorte de bonhomie illustrative, une marge de tolérance, tandis que le logo vise à la netteté absolue. Le fayard arraché de Fey est stylisé, mais c’est bel et bien un fayard. La stylisation, classique, des tilleuls de Genolier est si poussée qu’on a de la peine à reconnaître des tilleuls, mais ils conservent au moins une apparence organique. En revanche, l’écureuil des Caisses d’épargne françaises n’est plus un écureuil, mais une variation graphique sur le thème lointain de l’écureuil. Le premier conserve son caractère de végétal, le second n’est plus qu’un agencement de lignes et de courbes qui, à la limite, n’a pas besoin d’être reconnaissable.

On nous objectera que les trois roses d’or de Carrouge ne ressemblent pas vraiment à des roses, ni les fleurs de lys de Prilly ou de St-Prex à des fleurs de lys. C’est vrai. Mais elles sont devenues des motifs décoratifs plutôt que des abstractions. Elles conservent le côté concret d’un dessin à la main, qui gêne dans un logo.

L’esprit du logo est intellectuel, celui des armoiries est manuel. L’un est industriel et commercial, l’autre artisanal et institutionnel. On peut réaliser des logos magnifiques à partir de pièces usinées, d’écrans de télévision et de puces électroniques. En revanche, les armoiries ne supportent que les meubles artisanaux, ciboire, anille, broyes, roue de moulin, herse de labour, échelle d’assaut. La montre des armoiries de la fraction de commune de L’Orient est déjà à la limite du goût héraldique. Quant à la tôle ondulée, au béton ou au plastique…

Dans les débats pour la révision totale de la Constitution vaudoise, un constituant voulait renouveler la devise «Liberté et patrie» qui, contrairement aux bons usages héraldiques, se trouve sur le coupé d’argent des armoiries vaudoises. Il proposait «Liberté et solidarité», ajoutant ainsi la correction politique au solécisme héraldique. Cette idée, qui promettait de couler le tout, ne fut pas retenue en deuxième débat. Cela au moins nous fut épargné.

Le logo et le blason témoignent tous deux de la volonté de l’homme de résister au temps qui passe. Chacun sa manière: le premier sort du temps tandis que l’autre s’y plonge. Le logo est atemporel par l’extrême désincarnation des formes. Les armoiries résistent au temps en rattachant le présent à la permanence historique d’une famille, d’une nation, d’une commune. Mélange de rigueur et de fantaisie, de particularismes et d’affirmation communautaire, les armoiries sont essentiellement traditionnelles. Ce n’est pas pour rien que les révolutionnaires français se sont acharnés à les briser et à les brûler comme autant de signes d’un passé définitivement révolu.

Il ne vient à l’idée de personne de brûler les logos.

La République helvétique chercha elle aussi, mais sans grand résultat, à proscrire l’usage des armoiries. L’héraldique revint à la mode à la fin du XIXe siècle, en même temps que l’étude des coutumes prenait de l’importance aux yeux des historiens. Dans le Canton de Vaud, les années vingt et le début des années trente furent une période d’intense production héraldique communale. C’est de cette époque que datent les armoiries de notre mouvement.

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