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Coutumes et libertés

Pierre Rochat
La Nation n° 1880 15 janvier 2010
La Nation a signalé dans son numéro du 4 décembre dernier la publication par la Bibliothèque historique vaudoise, en coédition avec la Société pour l'histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, d'un hommage rendu au professeur Jean-François Poudret sous la forme d'une sélection d'articles de sa plume réunis sous le titre Coutumes et libertés. Ces articles sont consacrés à la coutume au sens juridique du terme, un domaine du droit dont M. Poudret est un des plus éminents spécialistes européens.

Le Pays de Vaud médiéval était un pays de coutume. Juste Olivier, dans Le Canton de Vaud, écrivait: Je ne sais si le moyen âge offre, dans la jurisprudence, beaucoup de spectacles plus curieux que celui de nos ancêtres, nation de quelques milliers d'âmes qui défend si bien ses usages, qui partout se sème si abondamment de coutumes, de droits et de franchises, que, dans un champ aussi peu étendu, on voit lever cinq ou six coutumiers à la fin. (CRV 1978, Tome I, p.482-3). Le citoyen d'aujourd'hui a de la peine à se représenter une société dans laquelle les rapports de ses membres entre eux et avec le pouvoir sont soumis à des règles orales dont le fondement est l'usage. Notre soumission moderne au régime de la loi écrite et à l'Etat de droit rend difficile pour nous la compréhension d'un ordre juridique où, pour obtenir justice, il faut se référer non à une disposition légale ou réglementaire mais à la tradition. De nombreuses questions viennent à l'esprit; par exemple: à quelles conditions un usage peut-il être considéré comme une norme juridique, comme une source du droit? Quel degré d'ancienneté, de certitude, de notoriété et d'acceptation populaire doit-il atteindre pour qu'il lie les justiciables et les juges? Comment établir l'existence et le contenu exact de l'usage? Qui sont ceux qui peuvent en attester? Doivent-ils être unanimes? Sinon, à qui en référer? Dans quelle aire territoriale l'usage est-il déterminant?

Le Pays de Vaud a donc vécu sous ce régime pendant des siècles. Il n'est pas excessif de dire que celui-ci était consubstantiel à celui-là. Lié aux privilèges et aux libertés dont jouissait le peuple, le respect de la coutume était un trait caractéristique des moeurs vaudois. Il témoignait de l'unité morale du pays et constituait un élément de ce qu'il est devenu à la mode d'appeler l'identité nationale.

Le lecteur de la BHV trouvera dans ce nouvel ouvrage la réponse à plusieurs des questions posées ci-dessus et à beaucoup d'autres. Il pourra par exemple suivre le déroulement d'une enquête ordonnée par le Conseil de Chambéry, habilité à statuer sur les recours formés contre les décisions des juridictions inférieures du Pays de Vaud. Il s'agit d'un conflit dans lequel l'une des parties invoque une règle coutumière qu'il est nécessaire de prouver pour que la cour puisse trancher en connaissance du droit applicable. Elle ordonne donc une enquête qu'elle confie à deux commissaires dont le mandat consiste à recueillir des témoignages sur l'existence et le contenu de cette règle. Dix-neuf témoins sont entendus comme «coutumiers». Ce sont des notables censés bien connaître la coutume en raison de leur expérience professionnelle ou de leur fréquentation du monde judiciaire ou encore des fonctions administratives qu'ils exercent et, chose importante, de l'étendue de leur mémoire. En l'espèce, trois témoins sont entendus à Nyon, trois à Aubonne, trois à Morges, trois à Cossonay, quatre à Yverdon, deux à Moudon et un à Rue. Les témoins sont invités à préciser selon quelle coutume ils répondent et où celle-ci s'applique, ce qui donne d'intéressantes indications sur les ressorts des diverses coutumes du pays.

Le lecteur désireux d'en savoir plus sur le rôle des coutumiers vaudois trouvera de précieux renseignements dans l'un des articles du recueil. Les coutumiers peuvent siéger en justice à côté du juge et participer à la délibération et au jugement. S'ils sont unanimes, la règle veut que le juge se conforme à leur opinion. Si les avis divergent, le juge doit en recueillir d'autres. Les coutumiers ne sont donc pas seulement des témoins, ils peuvent être aussi des assesseurs qui participent directement à l'exercice de la justice. enfin, ils peuvent être consultés en dehors de tout litige pour donner leur opinion, parfois en assemblée de coutumiers. A ces divers titres, déclare le professeur Poudret, les coutumiers jouent un rôle décisif non seulement dans l'administration de la justice, mais dans la formation même des règles coutumières. Ce sont eux qui créent le droit avec le consentement tacite des justiciables. (p. 210).

L'un des chapitres de la dernière partie de l'ouvrage est consacré à la coutume conçue comme liberté. L'auteur y explique comment le caractère coutumier a été assimilé dans le Pays de Vaud à une franchise fondamentale et pourquoi la coutume a été considérée comme une liberté. Alors que les etats savoyards étaient des terres de droit écrit, la coutume régnait sans partage du Jura au Léman. Plusieurs coutumes locales s'appliquaient mais une coutume générale du pays s'est dégagée peu à peu; elle s'identifiait largement à la coutume de Moudon. La Maison de Savoie s'est engagée à la respecter et les Etats de Vaud y ont veillé. Les textes conservés rapprochent dans une même formule franchises, libertés et coutumes. M. Poudret conclut: Le Pays de Vaud est ainsi demeuré jusqu'au XVIe siècle au sein de la monarchie savoyarde une terre d'exception et, par conséquent, de privilèges. Son statut coutumier a été un sol particulièrement propice au développement des libertés et considéré comme l'une d'elles. (p. 278).

Depuis la parution en 1998 de Coutumes et coutumiers, ouvrage embrassant les pays romands, nous disposons d'une véritable histoire du droit médiéval vaudois, due au professeur Poudret, assisté de Mme Marie-Ange Valazza Tricarico. Une histoire du droit privé vaudois dans son ensemble, c'est-à-dire des royaumes de Bourgogne aux temps modernes, n'existe pas. Un disciple de M. Poudret ou l'un de ses successeurs en prendra-t-il l'initiative? est-il irréaliste d'en exprimer l'espoir?

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