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Validité des initiatives populaires: le contrôle avant la récolte?

Jean-François Cavin
La Nation n° 1881 29 janvier 2010
Le problème de l’invalidation des initiatives populaires cantonales est triplement d’actualité. L’initiative de gauche sur l’instauration d’un salaire minimal a été déclarée contraire au droit fédéral par le Grand conseil; un recours est pendant devant la cour constitutionnelle. La ennième initiative de Franz Weber et consorts sur la protection de Lavaux suscite les doutes du Conseil d’Etat, qui la soumet au Grand conseil pour trancher sur sa conformité au droit fédéral. L’initiative socialiste sur les rabais fiscaux serait contraire à la loi fédérale sur l’harmonisation fiscale, selon un avis de droit produit par les organisations patronales faîtières. A chaque fois, les initiateurs, qui ont peut-être récolté en vain douze mille signatures ou davantage, poussent de hauts cris et dénoncent des manoeuvres politiques. Cela fait assez de bruit pour qu’on s’interroge sur la pertinence du système en vigueur.

La question de la validité des initiatives populaires se pose aussi sur le plan fédéral, mais dans des conditions fort différentes. L’initiative étant forcément de rang constitutionnel, les risques de violation d’un droit «supérieur» sont limités. Le seul motif d’invalidation, outre le défaut d’unité de matière ou de forme, est la violation «des règles impératives du droit international», qui sont peu nombreuses et portent sur des garanties élémentaires des droits de l’homme, telles que l’interdiction de la torture, de l’esclavage, de la mise à mort arbitraire, du génocide. Dernière différence, il n’existe pas de cour constitutionnelle fédérale, l’examen de la validité étant réservé aux Chambres, qui ne prononcent d’ailleurs que très rarement la nullité d’une initiative. Elles n’ont pas invalidé celle sur les minarets, à juste titre, malgré certains doutes sur sa conformité à la Convention européenne des droits de l’homme qui lie la Suisse, parce qu’aucune clause du «droit international impératif» n’était en jeu.

Leur jurisprudence favorable à un large exercice des droits populaires est judicieuse. Le système fédéral fonctionne. Nous n’en traiterons pas ici.

Il en va autrement sur le plan cantonal, où le droit dit «supérieur», en particulier le droit fédéral, impose un carcan restreignant fortement la liberté d’action du peuple vaudois. Dans beaucoup de domaines, la souveraineté cantonale résiduelle (si elle existe, car dans plusieurs cas la compétence fédérale est exclusive) est étroitement limitée. On peut le regretter, mais c’est un peu tard au moment de traiter une initiative. Où étaient les socialistes quand nous combattions la loi fédérale sur l’harmonisation fiscale?

La situation juridique actuelle

Selon l’article 80 de la Constitution vaudoise, sont affectées de nullité les initiatives qui sont contraires au «droit supérieur» ou qui violent l’unité de rang (constitutionnel ou législatif), de forme (initiative conçue en termes généraux ou rédigée de toutes pièces) ou de matière.

Selon la loi sur l’exercice des droits politiques, les initiatives, annoncées au Département de l’intérieur par sept électeurs au moins avant la récolte des signatures, font alors l’objet d’un examen préliminaire. Le Département, qui examine le titre et la forme, procède aussi «à bref délai à une analyse circonstanciée (? n.d.r.) de la validité de l’initiative. Le résultat de cette analyse est communiqué au comité d’initiative»; mais il n’a rien de contraignant. Le comité peut passer outre un avis négatif, par exemple en se fondant sur des expertises qu’il a lui-même commandées.

Après le dépôt des signatures, le Conseil d’Etat examine la validité de l’initiative. S’il a des doutes, il la soumet au Grand conseil à seule fin que celui-ci statue dans les six mois sur cette validité (indépendamment de toute décision sur le fond). S’il n’a pas de doute, le Conseil d’Etat informe à bref délai le Grand conseil que la question de la validité lui sera soumise avec le préavis sur le contenu.

La première décision sur la validité de l’initiative entraînant des effets de droit est donc prise par le Grand conseil. Cette décision peut faire l’objet d’un recours à la cour constitutionnelle du Tribunal cantonal, en dernière instance cantonale. Le recours au Tribunal fédéral est réservé.

Un contrôle préalable?

La préparation d’une initiative, son lancement, la récolte des signatures, l’expédition des listes aux communes pour le contrôle de ces signatures exigent un lourd travail et entraînent des frais élevés.

Cet effort peut être anéanti, dans le système actuel, à l’avant-dernier acte du processus. C’est une issue amère pour les initiants. Et les signataires – des milliers de citoyens – sont déçus dans leurs espérances; autant de personnes désormais enclines à penser que, «de toute manière, ils font toujours ce qu’ils veulent».

D’où l’idée d’un contrôle préalable de la validité. Le Conseil d’Etat, conscient des imperfections du droit en vigueur, a lancé une étude visant à réformer la procédure.

Le seul inconvénient notable du contrôle préalable, quelles que soient les modalités, est de retarder le lancement de l’initiative. L’élan politique peut retomber. combien de temps faut-il pour mener à bien le contrôle? La loi actuelle donne six mois au Grand conseil; c’est largement compté. Si le texte est soumis à une autorité plus restreinte et plus professionnelle, bien organisée et donnant la priorité à de tels dossiers (qui ne sont pas si nombreux!), deux mois, peut-être trois devraient suffire. L’initiative populaire, constitutionnelle ou législative, vise à poser des normes générales et abstraites, censées donc durables. Un peu de recul ne fait pas de mal; les initiants se doivent d’élaborer une proposition fondée sur autre chose qu’un mouvement d’humeur.

Certains diront que le contrôle préalable enlève aux auteurs la responsabilité de leur texte. Mais la prolifération du droit fédéral est telle qu’il est devenu extrêmement difficile de savoir si l’on s’y conforme.

Il nous semble que la sécurité du processus l’emporte sur d’autres considérations et que le principe d’un contrôle préalable peut être adopté.

Quelle autorité?

La première idée serait de confier ce contrôle au Département de l’intérieur déjà en charge du contrôle formel et chargé de «l’analyse circonstanciée» de la validité. Selon 24 heures du 20 janvier, ce serait la tendance de certains libéraux. Soulignant la responsabilité des initiants, ils se bornent à proposer «de donner plus de poids» à ce préavis, «qui pourrait être davantage communiqué». Mais deviendrait-il contraignant? Tant que ce pas n’est pas franchi, on en reste pratiquement au statu quo. Or l’invalidation d’une initiative populaire est une décision d’une grande portée. Convient-il d’en confier la compétence à l’administration? Face à ce qui peut devenir l’expression de la volonté populaire souveraine, la décision d’un département ne fait justement pas le poids.

Alors, le Conseil d’Etat? Ou le Grand conseil, comme aujourd’hui, mais en avançant sa décision? A juste titre, le député Haury craint que «trois pelés déposent une initiative pour faire mousser leur cause», ce risque existant surtout devant le parlement. De toute façon, ces deux autorités sont susceptibles de prendre des décisions inspirées par l’opportunité politique plus que par la rigueur du droit.

S’agissant de questions éminemment juridiques, pourquoi ne pas aller d’emblée devant la Cour constitutionnelle? Aujourd’hui déjà, c’est elle qui contrôle, sur requête d’un justiciable et en unique instance cantonale, «la conformité des normes cantonales au droit supérieur» (article 136 de la constitution). Le travail qui lui incombe ainsi de façon générale, elle pourrait tout aussi bien l’accomplir d’office dès l’annonce d’une initiative populaire au Département. Le droit serait ainsi dit par un tribunal, non par une autorité politique, avec plus de compétence et de sérénité. Pour les adeptes de la double instance, rappelons que le recours au Tribunal fédéral reste ouvert en dernier ressort.

Contrôle préalable obligatoire ou facultatif?

On pourrait imaginer que la saisine de la cour constitutionnelle préalable à la récolte de signatures reste à la discrétion du comité d’initiative. Ceux qui ne veulent pas casser l’élan d’un bel enthousiasme ou d’une sainte colère prendraient le risque. Dans ce cas, le contrôle de la validité serait opéré d’office par la Cour constitutionnelle après le dépôt de l’initiative munie des signatures voulues et avant son traitement politique par le Conseil d’Etat et le Grand conseil. Avec un tel système à option, on ferait dans la dentelle, convenons-en. Mais nous ne voyons pas d’inconvénient majeur à laisser cette liberté aux initiants. L’essentiel du dispositif resterait cohérent.

* * *

Les réflexions sur cette réforme ne font que commencer. Attendons l’étude menée par le Conseil d’Etat, qui devrait notamment décrire les systèmes en vigueur et les expériences faites dans les autres cantons.

Nous reviendrons sûrement sur le sujet à la lumière de ses constats et de ses réflexions.

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