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Eglise vaudoise, la fuite en avant

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1889 21 mai 2010
S’il fallait décrire en une phrase l’évolution actuelle de l’Eglise évangélique réformée du Canton, nous dirions que la communauté paroissiale desservie par le pasteur généraliste disparaît progressivement au profit d’une administration régionale composée d’un staff de pasteurs spécialisés intervenant en fonction de leurs compétences.

Les partisans de cette évolution s’appuient sur plusieurs motifs qui ne sont pas faux, mais auxquels ils donnent, à notre avis, une importance excessive. Le premier motif est l’étiolement de la paroisse traditionnelle. Les fidèles sont trop occupés par leurs affaires professionnelles, leurs soucis familiaux et leurs loisirs pour consacrer du temps à la paroisse. Ils déménagent trop souvent pour se créer des attaches et des obligations. Ils s’installent pour quelques années sur un territoire qui leur est relativement indifférent, consomment un peu de mariage, de baptême et d’enterrement, de Noël et de Pâques, et puis s’en vont.

Un autre motif est que le discours traditionnel de l’Eglise ne parle plus au monde: péché, salut, résurrection, Abraham, David ou Salomon sont des notions et des noms qui ne disent rien aux jeunes générations. Tout au plus Moïse évoque-il un dessin animé de Walt Disney. On s’échine donc à trouver un discours et des moyens d’action capables de rétablir le contact: manifestations spectaculaires, interventions dans la vie culturelle, promotion de «pôles de rayonnement». Il s’agit d’une part de ranimer la foi des fidèles, jugée trop tiède, et d’autre part de donner une «visibilité» à l’Eglise. Les moyens financiers étant limités, on coupe dans l’organisation paroissiale, on réduit le nombre de pasteurs généralistes, on restreint les pratiques religieuses dont on pense qu’elles ont fait leur temps, en particulier celle des cultes dominicaux. Ces opérations sont censées montrer au monde que l’Eglise s’ouvre au vent du large. On constate qu’elles sont surtout exténuantes et sans lendemain, sous réserve de brèves excitations médiatiques. Mais nos autorités s’obstinent, car la fuite en avant a cet effet pervers qu’elle donne au fuyard le sentiment de conserver la maîtrise.

Enfin, plus d’un jeune pasteur refuse d’exercer l’autorité dans sa paroisse, par paresse, par pusillanimité ou parce qu’il confond l’autorité, qui est un service, avec l’autoritarisme. «Je suis un fonctionnaire comme un autre» nous déclare l’un d’eux. Du même coup, ces pasteurs tendent à négliger certains aspects ministériels liés à l’exercice de l’autorité comme le souci de l’unité paroissiale, le suivi du fidèle, du baptême à l’ensevelissement, les visites aux malades, la présence de l’Eglise aux manifestations publiques.

Qu’il y ait du vrai dans le constat de nos autorités, c’est indéniable, mais elles en prennent un peu facilement leur parti. Elles noircissent même volontiers la situation, allant parfois jusqu’à présenter la fin des paroisses comme un fait accompli. Il y a peu, un pasteur déclarait à des catéchistes réunis à Mézières que la paroisse traditionnelle était morte. La seule présence de cette trentaine de catéchistes lui apportait pourtant un sérieux démenti.

Certaines paroisses se portent bien, d’autres mal, une bonne partie d’entre elles assument tant bien que mal leurs fonctions. N’alignons pas toutes les paroisses sur celles qui vont le plus mal. Ne sacrifions pas à l’esprit de système et demandons-nous s’il est vraiment impensable de vivre avec plusieurs statuts paroissiaux distincts. Evitons de casser ce qui fonctionne.

D’ailleurs, est-on certain que l’évolution actuelle continuera? La politique de la santé, après une période du tout-spécialiste, est en train de revaloriser le médecin de famille, le généraliste qui s’occupe de la personne malade et pas seulement de ses maladies. Expérience faite, ce type de médecine est plus efficace, plus rapide et moins coûteux. Il n’est pas exclu qu’il en aille de même avec le pasteur généraliste.

Quant à la distorsion qui croît entre le message de l’Eglise et la vie de nos contemporains, il faut commencer par être au clair sur le fait que les vérités fondamentales des Ecritures ne sont pas négociables, plus, qu’elles doivent orienter toute parole et toute action de l’Eglise, même face à la modernité la plus dure et la plus indifférente.

Or, le désir de se rapprocher du monde induit l’Eglise à se soumettre elle-même aux normes intellectuelles et morales du monde. La tentation est d’autant plus grande que l’idéologie dominante est une contrefaçon des Evangiles. La modernité vise en effet elle aussi le salut de l’homme dans le cadre de la religion universelle des droits de l’homme. Et peu importe qu’il s’agisse d’une religion sans transcendance, d’une universalité politique et d’un salut purement terrestre fait de santé et de prospérité. La similitude de structures inspire l’idée que la soumission à la modernité est sans danger et n’exige de nous qu’un petit changement de vocabulaire.

C’est ainsi qu’on tend à remplacer la prédication évangélique par le discours social, à réduire la charité à une veule sentimentalité, à opter pour le spectaculaire, le médiatique et le quantitatif au détriment d’une vérité qu’on laisse en friche, et, finalement, à transformer le Christ en un distributeur automatique de pardon.

L’Eglise s’efforce à juste titre de relier les deux mondes par la proclamation de Celui qui fut à la fois vrai homme et vrai Dieu. Mais il n’est pas en son pouvoir d’éteindre les divergences voire les contradictions entre elle et un monde marqué par la chute. L’éloignement croissant des deux discours et des comportements qu’ils inspirent est aussi un témoignage que l’erreur rend à la vérité. Ce n’est pas à l’Eglise d’en diminuer la portée par des aménagements de surface.

Enfin, l’autorité du pasteur n’est jamais que celle de la Parole. En cela, elle constitue un élément central de son ministère. De plus, cette autorité existe aussi, en creux, dans l’attente des fidèles. Le pasteur n’est ainsi doublement pas libre de ne pas exercer l’autorité. Il doit être conscient que sa défaillance sur ce point n’engendrera jamais un surcroît de liberté mais, du côté du fidèle, un sentiment d’abandon et, du côté de l’institution, un accroissement de la bureaucratie. Cette même bureaucratie qui, depuis plusieurs années, nous conduit sans vraiment le dire, à coup de «constats» caricaturaux destinés à nous mettre en condition, de petites décisions rusées et de transferts imperceptibles, à la réalisation d’«Eglise à venir» sous sa forme initiale, la plus ample, celle qui prévoit la suppression des paroisses.

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