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Kyoto pour les nuls

Cédric Cossy
La Nation n° 1889 21 mai 2010
Même si le principe du réchauffement climatique a subi quelques attaques durant ces derniers mois, le protocole de Kyoto n’en a pas été pour autant remis en question. La Suisse est l’un des 183 pays signataires et les contraintes du protocole, exprimées dans la loi fédérale sur le CO2 du 8 octobre 1999, sont une réalité pour les particuliers et l’économie suisses.

Loi sur le CO2: de la théorie…

Par la signature du protocole, la Suisse s’est engagée à réduire ses émission de CO2 de 10% relativement à l’année de référence 1990, soit à 48,6 millions de tonnes d’ici à l’an 2010. Dans les termes de la loi sur le CO2, il s’agit en fait d’atteindre cette réduction sur la moyenne des années 2008 à 2012. La réduction est de plus différenciée selon l’agent énergétique: les émissions provenant des combustibles (génération de chaleur ou d’électricité) doivent être réduites de 15% alors que la réduction découlant de l’emploi de carburants (transports) est fixée à 8%.

La loi en appelle principalement à des mesures politiques et à des restrictions «librement consenties» par les utilisateurs d’énergies fossiles. Elle prévoit, en cas de progrès insuffisants pour atteindre les objectifs du protocole, l’introduction d’une taxe d’incitation sur les émissions de CO2. Les émissions des Suisses n’ayant de fait pas décru comme le voudrait le protocole, cette taxe a été introduite dès le 1er janvier 2008. Pour l’instant, seuls les combustibles sont frappés, alors que les carburants en restent exonérés. La valeur initiale de la taxe, fixée à 12 francs par tonne de CO2, a été augmentée à 36 francs au début 2010, montant qui se traduit par une contribution de plus de 95 francs par tonne d’huile de chauffage. La loi permet théoriquement de porter la taxe jusqu’à une valeur plafond de 210 francs par tonne de CO2!

Les consommateurs privés paient la taxe, directement lors de l’achat de combustible ou, de manière indirecte, d’électricité produite dans des centrales thermiques ou par couplage chaleur-force. Les entreprises peuvent en revanche demander l’exemption pour le quinquennat 2008-2012. Pour ce faire, elles doivent s’engager formellement envers la Confédération à limiter leurs émissions de CO2 conformément aux exigences fixées par la loi. Ces exigences sont toutefois adoucies par divers facteurs, notamment par le taux de croissance enregistré durant la période de 1990 à 2010 ou par la preuve d’un désavantage concurrentiel à l’exportation généré par la perception de la taxe.

Les entreprises ayant conclu un engagement formel de limitation doivent tenir un monitoring recensant leurs émissions de CO2 issues de la consommation d’énergies fossiles, l’évolution de leur production et la liste des mesures et investissements consentis pour améliorer l’efficience énergétique de leur production. Ces données sont formellement consolidées par des agences mandatées par l’Office fédéral de l’environnement (OFEN). La véracité de ces données, en particulier celles concernant l’augmentation de l’efficience énergétique, peuvent faire l’objet d’audits menés par un ingénieur-conseil accrédité, accompagné par des délégués de l’OFEN et de l’Office des douanes, en charge de gérer la perception et la rétrocession des taxes CO2. L’exemption est accordée si les termes de l’engagement formel conclu avec la Confédération sont respectés. Dans le cas contraire, l’entreprise devra payer l’intégralité de la taxe, additionnée des intérêts sur les éventuels arriérés.

L’administration fédérale aurait pu en rester à l’appréciation individuelle des engagements de chaque entreprise volontaire. Elle a toutefois décidé de créer, à l’image de ce qui existe en Europe et sur le marché international, un système d’échange de quotas d’émission: une entreprise dont les émissions de CO2 sont inférieures au quota annuel fixé dans son engagement se voit créditée de certificats correspondant à la différence entre objectif et émissions réelles de CO2. L’entreprise peut décider de conserver ces certificats pour les faire valoir lors d’un prochain exercice, ou de les vendre via une bourse fédérale à une autre entreprise ayant des difficultés à tenir ses engagements. Cette dernière a aussi la possibilité d’augmenter son quota par acquisition d’au maximum 8% de certificats émis sur le marché international. On parle de système cap and trade: un plafond est fixé pour le total des émissions, alors que les quotas individuels non utilisés peuvent être négociés selon les règles du libre marché entre les participants.

L’affectation du produit de la taxe (860 millions estimés pour les années 2008 à 2010) est complexe et multiple. L’ordonnance d’application de 1997 prévoyait initialement une restitution à la population sous forme de déduction sur les primes d’assurance-maladie et aux entreprises non exonérées sous forme de versements à leur caisse de compensation. Crise oblige, les Chambres ont décidé en juin 2009 de détourner une partie du produit et de l’allouer, à titre de mesure de relance, à la subvention d’assainissement des bâtiments ou à la promotion des énergies renouvelables.

… à la pratique

Plus de 900 entreprises ont à ce jour conclu un engagement formel de réduction de leurs émissions de CO2. Le système de monitoring et d’enregistrement fonctionnant avec un certain «effet retard» (les quotas de l’année en cours sont déjà disponibles lors des déclarations d’émissions de ces l’année précédente), la totalité de ces entreprises ont naturellement obtenu l’exemption pour 2008 et obtiendront sans peine celles pour 2009 et 2010.

Dans ces conditions, aucun certificat n’a encore été négocié à ce jour en Suisse. Les entreprises les gardent en réserve pour l’heure de vérité qui sonnera probablement au courant de l’année 2012: c’est à ce moment que certaines d’entre elles réaliseront que le solde de la somme des quotas alloués pour le quinquennat 2008-2012 ne suffira pas à couvrir les déclarations prévues pour l’année 2012. Elles voudront dès lors acheter à tout prix des certificats disponibles pour éviter le paiement cumulé avec intérêts de cinq ans de taxes. La flambée des cours du certificat est donc préprogrammée, ce qui ne manquera pas de générer quelques juteux profits, mais aussi de probables victimes économiques.

Les principes de la taxation sont peu convaincants: pourquoi taxer les émissions générées par les combustibles, mais pas celles issues des carburants? On comprend bien où le bât blesse: la redevance poids lourd (RPLP) pénalise déjà suffisamment les transporteurs suisses relativement à leurs concurrents étrangers, et une taxe supplémentaire sur les carburants aurait été politiquement inconvenante. Cependant, si le climat était vraiment une priorité absolue, il fallait applique la taxe CO2 aussi aux carburants… quitte à supprimer la RPLP.

La loi sur le CO2 souffre du défaut de ne pas être pérenne: elle décrit les mécanismes de comptabilisation et de taxation valables jusqu’à la vérification des engagements de Kyoto, soit jusqu’en 2012 inclus. Elle ne dit en revanche rien de ce qui adviendra par la suite. Or, comme la conférence de Copenhague n’a pas réussi à dégager un consensus sur ce que devrait être l’après Kyoto, les parlementaires suisses sont désemparés pour statuer sur la suite. Ceci est d’autant plus vrai que la loi actuelle et ses mécanismes d’application sont peu rigoureux sur les principes et qu’ils mèneront à une situation complètement hors contrôle en 2012. La transition vers une nouvelle réglementation s’avère donc des plus délicates.

Sur le plan des principes, la taxe sur le CO2 n’a qu’un effet incitatif très modéré sur les réductions d’émissions. La plupart des entreprises suisses n’ont pas adhéré au système des déclarations volontaires, jugé trop risqué et administrativement très compliqué. Celles-ci ont opté pour le paiement de la taxe et sa récupération indirecte et partielle via leur caisse de compensation. Pour ces entreprises, les prix prohibitifs des énergies sur les marchés ont été un facteur de motivation bien plus fort que la taxe CO2 pour réduire leur consommation d’énergie fossile.

On s’achemine très vraisemblablement vers un non respect des engagements suisses pris à Kyoto. La documentation officielle parle souvent du danger de sanctions contre la Suisse consécutives à ce non respect. On ne trouve par contre aucune indication, ni sur la nature de ces sanctions, ni sur l’organe international compétent pour en décider, ni sur la force de coercition capable d’imposer leur application aux Etats récalcitrants. Dans les faits, on observe que la France, qui a lentement et discrètement escamoté son «Grenelle de l’environnement», n’a souffert d’aucune sanction.

Conclusion

Le but des lignes qui précèdent n’était pas de se prononcer sur la pertinence ou la nécessité d’une réduction du CO2 pour sauver le climat de notre planète et l’avenir de nos petits-enfants. En supposant que cette réduction soit indispensable, force est de constater que la législation suisse est inadaptée et mal fichue. Elle prépare une explosion spéculative et des combats parlementaires dont le climat ne sortira pas forcément gagnant.

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