Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

«La diversité des opinions et des volontés»

Claire-Marie Lomenech
La Nation n° 1942 1er juin 2012

Au coeur de la Guerre de Cent ans, en 1407, Christine de Pizan rédige à l’intention du dauphin, louis de Guyenne, un texte intitulé le Livre du Corps de Policie1. Il n’est de loin pas courant, à cette époque, qu’une femme s’adresse à une personne royale, surtout pas pour lui prodiguer des conseils en matière de bon gouvernement. N’écrivant pas moins de quarante oeuvres, allant de la poésie lyrique aux écrits méditatifs, en passant par de vibrantes épîtres, Christine de Pizan n’hésite pas à prendre sa plume pour réagir aux événements politiques qui secouent le royaume. Son éducation et ses lectures nourrissent son écriture, alors que ses relations dans les milieux intellectuels parisiens et la réception de ses oeuvres dans la famille royale lui donnent la légitimité qu’elle recherche et certainement mérite. Christine de Pizan connaît ses classiques et, si elle ne les a pas lus directement, en latin ou en français, a connaissance des plus grands textes de l’antiquité comme du Moyen age par des recueils ou des réécritures contemporaines.

Ce traité politique s’apparente à un miroir des princes, genre hérité de l’époque carolingienne, consistant en un manuel d’instruction royale peignant le portrait d’un roi vertueux et savant, dont le modèle par excellence est Saint louis. Le miroir, en latin speculum, renvoie au prince l’image idéale de son gouvernement. le Livre du Corps de Policie est composé de trois livres destinés respectivement aux princes, aux nobles et au peuple, les trois parties du corps dont le roi est la tête, image reprise tout au long du Moyen age. après un long développement sur l’éducation du prince, son comportement vis-à-vis de son peuple ou encore les six conditions qui font la noblesse, Christine de Pizan énonce les différents modes de gouvernement, dont la variété est due aux «anciennes coutumes des lieux», qu’elle respecte, sans manquer de les illustrer.

Venise, par exemple, est dirigée depuis sa fondation par de grandes familles de la noblesse. En revanche, la ville de Bologne est gouvernée par des représentants de chaque corps de métier, issus du «menu peuple» et choisis pour une année. Christine de Pizan s’érige contre ce système qu’elle juge sévèrement: «Je crois bien que tel gouvernement ne sait être profitable, car on ne le voit guère durer…» enfin, s’appuyant sur l’autorité d’Aristote et de sa Politique, elle déclare le gouvernement d’un seul comme étant le meilleur, contrairement à la gouvernance de plusieurs, qui ne saurait être bonne «à cause de la diversité des opinions et des volontés».

Peut-on rattacher ces lignes à notre actualité? Leur auteur semble avoir une vision tout à fait lucide des problèmes de la gouvernance partagée entre plusieurs individus. relire un texte comme celui-ci, à la lumière des circonstances présentes, ne peut que nous aider à avoir le recul nécessaire pour juger notre propre système et nos dirigeants, car la formule «la diversité des opinions et des volontés», dans sa simplicité, résume l’entier du problème de la société moderne: il est illusoire de croire que le bien commun se résume à l’addition des besoins et des volontés de chaque individu, car ceux-ci sont bien trop divergents, voire contraires les uns aux autres, quand ils ne s’opposent pas directement au bien commun.

Comme ses contemporains, il y a plus de six cents ans, Christine de Pizan l’avait compris et ne s’est pas privée de le rappeler à ses lecteurs.

Notes :

1 Christine de Pizan, Le Livre du Corps de Policie, éd. par Angus J. Kennedy, Paris, Champion, 1998.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: