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Les Suisses de Paris. Soixante balades insolites

Charlotte Monnier
La Nation n° 1942 1er juin 2012

Quel Suisse ou quel Vaudois n’a jamais critiqué un Français, ou pire encore, un Parisien? Cible plus ou moins facile de nos esprits plus ou moins jaloux, admettons-le, les Parisiens («Parigots» pour les intimes) ne font pas toujours l’objet de nos opinions les plus élogieuses, admettons-le également. Coupables ou victimes? là n’est pas exactement le sujet de notre article.

Jean-Robert Probst, journaliste, ex-directeur du magazine Générations et clown1, est celui qui nous en offre la plus belle preuve avec son ouvrage Les Suisses de Paris. Soixante balades insolites, récemment publié par les éditions Cabédita2. Ce dernier se donne en effet le but très original de nous proposer «soixante balades insolites» auxquelles sont associées soixante personnalités non moins singulières.

Issues des milieux artistiques les plus variés, ces personnalités suisses nous permettent, à la bonne heure, de redécouvrir Paris sous un autre jour que celui des élections présidentielles. Les pages consacrées au huitième arrondissement nous offrent même l’occasion de nous promener sur les Champs-Élysées avec une pensée émue pour Amédée de la harpe, surnommé le «général baïonnette» suite à son opposition farouche aux Bernois, en 1791.

Le littéraire vaudois, lui, ne sera pas déçu par les pages consacrées à la mémoire de Charles-Ferdinand Ramuz. Le créateur des Cahiers vaudois, qui n’a cessé d’écrire la solitude de l’homme face à la nature, occupe en effet la place qu’il mérite au sein de cet ouvrage dont la lecture est aussi éclectique et documentée que cohérente et limpide. Après y avoir séjourné entre 1903 et 1914 sous prétexte d’une thèse qui, au passage, n’a jamais vu le jour, Ramuz égraine ses souvenirs parisiens en 1938 dans Paris, Notes d’un Vaudois. C’est à cet ouvrage que l’on s’est référé pour lire ces quelques lignes:

«La tour Eiffel est transparente; ce n’est pas une construction de pierre opaque, elle est comme une fumée qui monte tout droit dans les airs. […] C’est un tricotage, c’est un ouvrage de vannerie, c’est fait de mailles lâches, de noeuds qui ne sont reliés entre eux que par des fils presque invisibles; ce n’est pas un ouvrage terrestre, c’est un ouvrage aérien.»

Celui dont, à force de succès, on ne se souvient même plus de l’origine helvético-vaudoise confiera également à son ami Henri Poulaille en mai 1924:

«Dites que je suis né dans le Pays de Vaud, qui est un vieux pays savoyard, c’est-à-dire de langue d’oc, c’est-à-dire français et des bords du Rhône, non loin de sa source.

[…] Exprimer, c’est agrandir. Mon vrai besoin, c’est d’agrandir… Je suis venu à Paris tout jeune; c’est à Paris que je me suis connu et à cause de Paris. J’ai passé pendant douze ans, chaque année, plusieurs mois au moins à Paris; et les voyages de Paris à chez moi et de chez moi à Paris ont été tous mes voyages!»

Ne fût-ce que pour se heurter à l’intelligentsia parisienne et lui insuffler par là l’ambition d’assumer ses audaces stylistiques, le passage de Ramuz à Paris s’imposait comme une nécessité. Ce fut d’ailleurs également le cas pour bien d’autres de ses contemporains aux origines parfois négligées tels que le sculpteur au style filiforme Alberto Giacometti, l’auteur de Belle du Seigneur Albert Cohen ou encore l’infatigable bourlingueur qui avait «le don de donner vie à ses rêves»: Blaise Cendrars.

Quoi qu’il en soit, la prose de Ramuz telle qu’on la connaît ne s’est pas forgée sans l’influence de ces paysages parisiens qui n’ont de cesse aujourd’hui encore de fasciner, d’appeler et d’exercer un pouvoir de quasi soumission.

Recueil impressionnant de balades enivrantes de culture, de surprises et de découvertes, notons également la présence en son sein de personnalités encore vivantes. Parmi elles, Michel Contat, journaliste et critique d’art que l’on a souvent considéré comme l’héritier intellectuel de Jean-Paul Sartre. Lui nous invite, en page soixante-sept, à boire un café mythique dans le célébrissime «Café de Flore». aux dires de Jean-Robert Probst, ce dernier rendrait «plus intelligent»! on peut toujours essayer…

Quant à l’étudiante vaudoise que votre serviteur incarne, force lui est de reconnaître que c’est non sans une pointe d’émotion et un soupçon de rêve qu’elle s’est intéressée aux pages consacrées au pavillon suisse de la Cité Universitaire. Dessiné en 1932 par Charles-Edouard Jeanneret dit le Corbusier, ce bâtiment abrite depuis sa construction des étudiants, suisses pour la plupart, venus étudier à Paris… on ne se demande plus pourquoi!

En définitive, puisse cet article vous avoir donné l’envie de retourner à Paris, guide Cabédita en poche, et qui sait, de constater que finalement, la Ville lumière n’est peut-être pas si parisienne qu’on le dit.

Notes :

1 lire à ce propos: Probst Jean-Robert, Chicky, Une vie de clown. Légende vivante du cirque. Editions Cabédita, 2008, 120p.

2 Probst Jean-Robert, Les Suisses de Paris. Soixante balades insolites, Editions Cabédita, 2012, 160p.

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