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Une initiative funeste à tout point de vue

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1964 5 avril 2013

Le 9 juin, le peuple et les cantons se prononceront sur une initiative de l’UDC demandant l’élection du Conseil fédéral par le peuple.

Une mécanique boiteuse

L’initiative prévoit que la Suisse tout entière, cantons, régions et groupes linguistiques confondus, forme un seul arrondissement électoral. Premier indice de son inopportunité, elle traite la Confédération comme un Etat unitaire.

Au premier tour, on vote à la majorité absolue, qui se calcule en divisant le nombre de suffrages valables obtenus par l’ensemble des candidats par le nombre de sièges à pourvoir, puis en divisant le quotient par deux; la majorité absolue est égale à l’entier supérieur. Vue par les initiants, la majorité absolue n’est pas simple! On peut tenir pour certain que, sauf rarissime exception, l’électeur ordinaire votera pour des candidats parlant sa langue.

Les Suisses alémaniques formant les quatre cinquièmes de la population suisse, ce sont à chaque fois des candidats germanophones qui sortiront en tête. Le principe même du projet offre donc la totalité des sièges vacants à la Suisse allemande. C’est dire à quel point le mécanisme est déséquilibré.

Pour corriger le tir, l’alinéa suivant prévoit que deux élus au moins proviendront des cantons ou des parties de cantons s’exprimant en français ou en italien. Les deux candidats «latins» les mieux placés remplaceront donc les deux germanophones les moins bien élus.

Ainsi, l’initiative commence par casser l’équilibre des forces pour le rétablir ensuite, tant bien que mal, par un mécanisme de discrimination positive. Un principe constitutionnel qui a besoin d’un tel correctif est un principe boiteux.

Retombée secondaire de ce montage besogneux, les Romands repêchés, comme tous les bénéficiaires d’un système de quotas, apparaîtront comme des conseillers fédéraux de second ordre, des faire-valoir à la légitimité douteuse.

Continuons. Le correctif lui-même est plus que douteux en ce qu’il traite, contre l’évidence, les groupes italophone et francophone comme s’ils formaient un tout linguistique homogène. En réalité, les auteurs ont simplement groupé sous une seule étiquette tout ce qui n’était pas suisse allemand.

Consciemment ou non, l’idée sous-jacente est que la vraie Suisse, la Suisse authentique est germanique.

En outre, le système, même corrigé, réduit à néant les chances des candidats tessinois, dont les mieux placés obtiendront forcément moins de voix que les candidats romands. Quant aux Rétho-Romanches, ils ne sont même pas mentionnés. «Ce n’était pas possible, car ils ne forment pas une région linguistique», argumentent les partisans de l’initiative, sans voir, les malheureux, qu’ils ne font que donner une preuve supplémentaire de l’inanité de leur bricolage institutionnel.

Signalons enfin la confusion opérée par le comité de soutien entre représentation et gouvernement. Il parle d’une représentation équitable de la Suisse latine au Conseil fédéral. Un conseiller fédéral est là pour toute la Suisse. Il n’a pas à représenter des intérêts particuliers, fussent-ils cantonaux.

Il n’a pas à représenter la «Suisse latine». D’ailleurs, que peut-on bien représenter de cohérent à propos d’une région définie par sa seule non-germanophonie?

L’alinéa 6, boiteux lui aussi

L’alinéa 6 prévoit que les «latins» de service seront désignés par la moyenne géométrique de leurs résultats sur le plan suisse et sur le plan de leur canton ou de leur région. Cet autre correctif vise à diminuer le risque qu’un conseiller fédéral «latin» ne soit refusé – ou élu – par une majorité de Suisses alémaniques, dispositif encore renforcé par le choix de la moyenne géométrique, laquelle, par rapport à la moyenne arithmétique, augmente l’importance du nombre le plus petit. Le mécanisme se complique ainsi d’une sorte de circonscription «latine» implicite.

Peuple et peuples

Il s’agit, selon les partisans de l’initiative, de donner plus de pouvoir au peuple.

L’argument joue sur deux significations différentes du mot peuple. Quand la Constitution fédérale parle de «peuple», c’est par rapport aux cantons et à la double majorité. Peuple est dans ce cas une notion juridique: c’est l’ensemble des électeurs suisses.

Mais un peuple, c’est d’abord une réalité historique, affective et culturelle. Et cette réalité est essentiellement cantonale.

Du point de vue de l’histoire, du sentiment et de la culture, le peuple vaudois n’est vraiment pas le peuple zuricois, et pas davantage le peuple valaisan.

L’initiative ne donne aucun pouvoir supplémentaire à ces peuples concrets. Au contraire, elle gonfle à leur détriment la notion juridique de peuple suisse et la notion conflictuelle de groupe linguistique.

Plus de transparence?

Les partisans de l’initiative affirment qu’elle apportera plus de transparence dans la désignation des élus. Il est probable en effet qu’un vote populaire éviterait certaines intrigues assez répugnantes. Mais fermant la porte à la combine, il l’ouvrirait à la démagogie. La force succéderait à la ruse, le frimeur à l’apparatchik. On peut détester l’un plus que l’autre, mais ça ne justifie pas un bouleversement des institutions.

D’ailleurs l’initiative, avec son mode de calcul de la majorité absolue, son correctif privilégiant les «latins» et son recours à la moyenne géométrique, n’est pas non plus un modèle de transparence.

Des personnalités plus marquées?

Certains attendent du nouveau système qu’il privilégie des candidats «profilés» plutôt que des individus consensuels.

Il est vrai que le système actuel n’a rien de spectaculaire. Il multiplie les critères et les cautèles de tous ordres. Il tient compte du parti du candidat, de son âge, de sa religion, de son canton, de sa langue, de sa profession, de sa provenance, urbaine, rurale ou montagnarde. Ce système prudentissime de pondération multiple et de lissage exerce un effet de neutralisation et débouche rarement sur des personnalités «profilées», en tout cas au sens où l’entendent les commentateurs de la politique-spectacle.

Le mode de désignation du Conseil fédéral n’a pas pour fonction d’épater la galerie et de fournir des sujets aux médias.

Il doit être défini par la nature, les besoins et les limites de la Confédération, par le fondement cantonal du pouvoir fédéral, par le caractère composite de la Suisse, avec la neutralité qui en découle, et par le contrôle permanent de la démocratie directe.

Pour répondre à ces exigences invariables, le pouvoir fédéral doit être composé de personnes soucieuses avant tout de faire prévaloir notre souveraineté, plutôt que multipliant les effets de manche, les discours moralisateurs et autres numéros personnels.

Une initiative ethniste et centralisatrice

Ce pouvoir fédéral fort et personnalisé que réclament les partisans de l’initiative appelle logiquement le regroupement des compétences politiques dans les mains de la Confédération, un pouvoir cantonal sévèrement réduit et une démocratie directe revue à la baisse. Est-ce vraiment ce dont la Suisse a besoin? La Suisse traditionnelle est faite d’Etats cantonaux égaux en souveraineté qui vivent en bonne intelligence. Cela nous a protégés jusqu’aujourd’hui de ces conflits civils dont souffre la Belgique. L’initiative fait litière de cet ordre fédéraliste et centralise inutilement tout en nous poussant en direction d’une Suisse des régions – et des conflits – linguistiques. Il est difficile de faire pire.

Eléments principaux du texte de l’initiative

Art. 175, al. 2 à 7

2 Les membres du Conseil fédéral sont élus par le peuple au suffrage direct selon le système majoritaire. Ils sont choisis parmi les citoyens et citoyennes suisses éligibles au Conseil national.

3 Le Conseil fédéral est renouvelé intégralement tous les quatre ans, en même temps que le Conseil national. Les sièges vacants sont pourvus au moyen d’une élection de remplacement.

4 La Suisse forme une seule circonscription électorale. Les candidats qui obtiennent la majorité absolue sont élus au premier tour. Celle-ci se calcule en divisant le nombre de suffrages valables obtenus par l’ensemble des candidats par le nombre de sièges à pourvoir, puis en divisant le quotient par deux; la majorité absolue est égale à l’entier supérieur. Si un nombre insuffisant de candidats est élu, un deuxième tour est organisé. Celui-ci se déroule à la majorité simple. En cas d’égalité des voix, les candidats sont départagés par tirage au sort.

5 Le Conseil fédéral doit être composé d’au moins deux citoyens domiciliés dans les cantons du Tessin, de Vaud, de Neuchâtel, de Genève ou du Jura, dans les régions francophones du canton de Berne, de Fribourg ou du Valais ou dans les régions italophones du canton des Grisons.

6 Si la composition du Conseil fédéral issue des urnes selon les règles de l’al. 4 ne respecte pas la règle visée à l’al. 5, les candidats domiciliés dans les cantons et les régions visés à l’al. 5 qui ont obtenu la moyenne géométrique la plus élevée sur la base des suffrages obtenus dans l’ensemble de la Suisse, d’une part, et dans les cantons et les régions visés à l’al. 5, d’autre part, sont élus. Les candidats élus aux termes de l’al. 4 qui ne sont pas domiciliés dans les cantons et les régions visés à l’al. 5 et qui ont obtenu le moins de voix sont éliminés.

7 La loi règle les modalités.

 

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