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Le roman noir de l’ours brun instrumentalisé par des Verts

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 1964 5 avril 2013

Non content de favoriser la «réintroduction» du loup en Suisse (voir La Nation no 1963), le lobby environnementaliste s’efforce maintenant d’y acclimater l’ursus arctos, autrement dit l’ours brun européen.

Lorsqu’en juillet 2005 un ours pointe son museau dans les Grisons pour la première fois depuis 1923, le conseiller fédéral Leuenberger se rend aussitôt sur place et, planté devant une caméra, déclare d’une voix menaçante: «On ne touche pas à l’ours!» Gare au Nemrod qui serait tenté de résoudre le problème «au coup par coup», selon la vieille méthode utilisée pour éliminer l’ours des Pyrénées Cannelle en novembre 2004! Les futurs randonneurs sont impérativement priés de porter une clochette pour signaler leur présence et, s’ils se trouvent face à l’ours, de lui parler «doucement» et de se coucher «en position fœtale, la main derrière la nuque».

Un premier veau massacré juste pour un morceau de cuisse suscite crainte et colère dans le val Müstair. Un journaliste du Matin, Victor Fingal, évoque alors un «réveil brutal dans le dortoir des écolos» et rappelle que «personne ne peut décemment prétendre que l’ours ne représente aucun danger pour l’homme et que vouloir s’en faire un ami contredit la nature». Il sera pratiquement le seul, dans la grosse presse, à oser tenir ce langage écologiquement incorrect.

La contre-offensive s’organise rapidement.

Quelques personnes équipées de jumelles se font photographier en train de scruter la lisière d’une forêt: 24 heures annonce joyeusement que «les passionnés ont déferlé sur les Grisons où ils guettent le moindre mouvement du plantigrade»; et le quotidien de titrer sur cinq colonnes: «Comment l’ours est devenu l’ami public numéro un». Philippe Roch, ancien chef de l’Office fédéral de l’environnement, déclare à Darius Rochebin (TJ du 16.8.2005) qu’il n’a «aucune peur de l’ours», ajoutant sans rire: «Je me sens tellement de la nature qu’à la limite, la plus belle mort que je pourrais me souhaiter, c’est encore d’être attaqué par un ours.» Las! On découvre très vite que la «star de l’été 2005» n’est pas une bête sauvage, mais un ours de Slovénie lâché en Italie dans le cadre d’un projet de réintroduction de l’espèce. JJ2, alias Lumpaz, un nom choisi par les lecteurs du Sonntagsblick qui signifie «polisson» en romanche, étoffe son tableau de chasse, fait un tour au Tyrol autrichien, où il poursuit une bouchère, puis revient en Suisse. Son régime alimentaire ne plaît guère à un cadre du Parc national, à Zernez: «Notre ours mange trop de viande. Ce sont des protéines, alors qu’il devrait privilégier les graisses et le sucre.» Le premier réflexe des autorités fédérales est évidemment d’élaborer un «Concept Ours brun Suisse» pour organiser une «cohabitation de l’homme et de l’ours» immédiatement décrétée «possible et souhaitable» moyennant des «mesures d’effarouchement» du plantigrade. Ledit Konzept, mis en consultation en mars 2006, ignore un fait fondamental: alors qu’une femelle et ses petits doivent disposer d’un espace vital de l’ordre de 150 km2 – pratiquement la surface du Parc national –, un mâle peut occuper des territoires cinq fois plus grands, jusqu’à mille km2; pour satisfaire ses besoins biologiques, l’ours parcourt indifféremment pâturages d’altitude, forêts et fonds de vallées, autant d’espaces qui sont utilisés et gérés par l’homme. Le Concept omet aussi de signaler que l’omnivore s’attaque régulièrement à des troupeaux domestiques et à des ruchers, et dans certains cas à l’homme. Se fondant sur une typologie aussi extravagante que pseudo-scientifique, il distingue d’une part l’«ours farouche, qui peut vivre discrètement, même dans des zones habitées, s’il trouve suffisamment de nourriture» (sic), et «l’ours peu farouche, doté d’une grande capacité d’apprentissage» (resic), qui peut devenir soit «un ours nuisible», soit un «ours problématique», soit encore «un ours à risque».

Ce n’est que s’il entre dans cette dernière catégorie qu’il pourra être tiré; comme si un «ours farouche», un «ours nuisible» ou un «ours problématique» n’était pas un «ours à risque»! Encore faut-il que l’ours se soit attaqué à une personne «de manière agressive, la blessant, voire la tuant». Que l’homme paye le premier le prix du sang! La vérité est qu’un ours reste un ours: à la course, il peut atteindre une vitesse de 55 km/h, il grimpe aux arbres, et toute rencontre de l’homme avec ce redoutable omnivore peut se solder par des coups et des blessures, voire par une issue mortelle pour l’être humain, puisque l’animal est capable d’arracher une tête d’un seul coup de patte.

Comme l’a relevé Oskar Freysinger dans une motion déposée en octobre 2006 pour un nouveau «Plan ours», le plantigrade «ne se soucie pas des catégories sociales à son égard». Comme tant d’autres, Timothy Treadwell, le héros du film de Werner Herzog Grizzly Man, l’a appris à ses dépens. Lui et sa compagne étaient pourtant très motivés pour «vivre avec les ours bruns» en Alaska; ils ont été proprement dévorés, en octobre 2003, par un de ces plantigrades «peu farouches» si chers au cœur des concepteurs fédéraux. Cela ne pouvait être, bien sûr, qu’un ours mal léché… Peut-être auraient-ils dû suivre les conseils prodigués dans le «Concept Ours brun Suisse»: «chantonner, détourner l’attention de l’ours en posant quelque chose sur le sol (veste, panier, mais pas de sac à dos!), se coucher sur le sol à plat ventre, les mains croisées sur la nuque pour protéger le mieux possible les parties du corps les plus vulnérables». Trêve de plaisanteries! Le catalogue de conseils du lobby ursin fédéral relève soit de l’angélisme, soit de l’inconscience, l’un n’excluant d’ailleurs pas l’autre.

De JJ2, disparu en 2005 et probablement tombé sous les balles de chasseurs, à M13, abattu en février 2013 après avoir visité des habitations, pillé des ruches et effrayé une adolescente, en passant par JJ1, alias Bruno (frère de JJ2), abattu en Bavière, et par JJ3, abattu en 2008 au grand dam des autorités italiennes, et sans oublier la blessure par balle infligée à Finn lors de l’agression d’un handicapé mental qui s’était introduit dans son enclos à Berne, le roman noir de l’ours brun continue de susciter l’ire des Verts et de citadins confortablement installés devant leur poste de télévision. Cette indignation est partagée par une lectrice de 24 heures (9-10 mars 2013), mais pour d’autres motifs: «Innocentes victimes d’irresponsables utopistes […] les arrachant à une nature dans laquelle ils pouvaient encore vivre librement», ces animaux ne sauraient survivre sur «un territoire devenu exigu, morcelé, envahi par les industries et les infrastructures d’une démographie exponentielle incontrôlée». Comment les initiateurs de cette politique peuvent-ils aimer les animaux «alors que, par cette réintroduction, ils n’ont fait que leur malheur, celui de leurs proies, des éleveurs, tout en gaspillant les deniers des contribuables?» Cette question de Madame Colette Cerf devrait interpeller les lobbyistes de la réintroduction de l’ours.

Ce qu’on retiendra finalement de ce feuilleton, en attendant le prochain tir, ou le prochain accident humain, c’est que les «concepts» et les «plans» mis en place ces dernières années pour «gérer» le retour du loup, de l’ours et du lynx – en attendant le chacal doré repéré aux portes de la Suisse… – ont été élaborés en dehors de toute concertation prenant en compte les intérêts des populations concernées. L’expérience montre que la cohabitation de l’homme et de ces prédateurs est incompatible avec les exigences d’un tourisme qui, sans aspirer à devenir un tourisme de masse, ne saurait se réduire pour autant à l’écotourisme à la mode; de même, elle est incompatible avec l’agriculture de montagne, la sylviculture, l’élevage, l’apiculture, et le maintien d’une biodiversité incluant les cervidés. Du point de vue juridique, comme nous le rappelle aujourd’hui le conseiller aux Etats Jean-René Fournier, elle pose avec acuité le problème de la responsabilité du canton ou de la Confédération en cas d’accident.

Sur le fond, elle vise bel et bien à «réguler la population grégaire et touristique», en clair à chasser l’homme d’une partie de plus en plus importante du territoire qu’il occupe au nom d’une idéologie prétendant le soumettre à la dictature de la «biodiversité».

L’accueil de ces grands prédateurs au nom de la «biodiversité» et du «développement durable» constitue à coup sûr l’arme absolue pour appliquer le programme de réduction des activités humaines et d’expropriation de l’homme cher à l’écologie profonde, pur produit d’une pensée détournée de sa fin première. Il importe d’y mettre un terme en dénonçant purement et simplement la Convention de Berne à défaut de pouvoir l’amender, comme le prévoit la motion Fournier. La balle est depuis novembre dernier dans le camp du Conseil fédéral.

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