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Encore les dogmes

André Durussel-Pochon - Olivier DelacrétazOn nous écrit
La Nation n° 1964 5 avril 2013

On nous écrit

Cher Monsieur, Votre éditorial: «Croire sans dogmes» a retenu une fois de plus toute mon attention. Je constate hélas que de profondes divergences subsistent toujours dans nos positions respectives… et respectables. Ainsi, vous «extrapolez» certains propos tenus par M. Frédéric Lenoir dans Bonne Nouvelle pour en tirer des généralités auxquelles je ne puis adhérer. Voici les raisons de mes réserves: – La première raison, fondamentale, c’est que M. Lenoir a été élevé dans la religion catholique, comme vous le relevez. Après sa découverte des écrits bibliques, à l’âge de 19 ans (… pas avant), il a pris ses distances par rapport à cette religion, je dirai «en bon protestant», qui privilégie toujours l’Ecriture par rapport à l’Institution ecclésiastique.

Pour lui, sa conception de la dogmatique catholique est en effet irrecevable aujourd’hui. Pourquoi cela? Parce que les dogmes sont une proposition que l’Eglise institution, par son Magistère et par l’autorité papale ou conciliaire, a bétonné comme étant révélation divine intouchable et que leur négation (ou mise en doute) constitue dès lors une hérésie (voir annexe, Karl Rahner, op. cit. p. 134). Il est évident qu’un croyant réformé ne peut admettre de telles définitions, Frédéric Lenoir parmi eux! Comme Eugen Drewermann, il est désormais devenu un hérétique.

– Selon votre article, vous chargez M. Lenoir de propos qu’il n’a jamais tenus. Ainsi ces points essentiels que vous mentionnez à juste titre, mais… «qui n’ont rien à faire dans ce Credo minimal».

– S’il est possible de croire sans recourir à des dogmes, je pense comme vous que cela n’est guère imaginable. Mais de quels dogmes s’agit-il véritablement? Comme je vous l’avais exposé dans ma lettre de 2009, nous avions travaillé autrefois au SCT de Lausanne avec le professeur Louis Rumpf autour de l’ouvrage de Karl Barth intitulé: Esquisse d’une dogmatique, un ouvrage encore et toujours valable pour le croyant d’aujourd’hui. M. Lenoir n’a jamais proposé «assez piteusement…» de filtrer la quintessence de ces dogmes-là, c’est-à-dire le Credo (ou Symbole des Apôtres).

– Enfin, contrairement à ce que vous écrivez, toute affirmation religieuse ne se réfère pas d’abord (même inconsciemment) à une réalité de type dogmatique, mais bien plutôt de type kérigmatique (voir à ce sujet Dogme et annonce, par Joseph Ratzinger, mars 2012). Il est regrettable de maintenir une telle confusion auprès des lectrices et lecteurs de La Nation.

Dans l’espoir que vous examinerez avec bienveillance les points soulevés dans cette présente lettre, je vous adresse, cher Monsieur, mes salutations les meilleures.

ANDRE DURUSSEL-POCHON

Références et annexes:

– Barth Karl: Esquisse d’une dogmatique (cours à Bonn en 1946). Réédition en co-édition Le Cerf et Labor et Fides, mai 1984, 254 p.

– Rahner Karl et Vorgrimler Herbert: Petit dictionnaire de théologie catholique. Edit. du Seuil, Paris, 1969.

– Ratzinger Joseph: Dogme et annonce, mars 2012. Ce pape désormais retraité était un bon théologien et il écrit le terme «Dogme» au singulier, sachant très bien que certains dogmes promulgués par des conciles de son Eglise seront un jour obsolètes (infaillibilité, immaculée conception, etc.).

 

Notre réponse

Cher Monsieur, L’interview de M. Frédéric Lenoir était l’occasion plutôt que le thème de mon article. Ce qu’il dit dans Bonne Nouvelle est d’une banalité très ordinaire, mais je suis prêt à admettre qu’il n’était pas dans un bon jour.

A mon sentiment, vous reprochez au dogme lui-même les mauvaises utilisations qu’on peut en faire. Je vous accorde que le dogme, par sa rigueur, sa limpidité, son caractère atemporel et définitif, peut faire croire au théologien qu’il a le droit de prendre barre sur Dieu, de Lui assigner une place en fonction de ses raisonnements et de Le prier (!) de n’en pas bouger.

La suffisance menace toujours celui qui passe son temps à réfléchir sur Dieu, à faire de Dieu l’objet de ses réflexions.

Pour éviter cette voie dangereuse, il faut qu’il s’impose de passer autant de temps en contemplation et en prière qu’en réflexion. Sa maîtrise théologique est alors équilibrée par l’humble conscience de sa dépendance. Lors de notre camp annuel de Valeyres, où nous traitons toute la journée de thèmes importants, notamment théologiques, chaque journée commence et se termine par un office divin prié en commun: toute chose reprend ainsi sa juste place.

Je vous accorde encore que, sous prétexte que le dogme est clair et sûr, certains font comme si tout était susceptible d’être connu avec la même clarté et la même certitude. Ils énoncent leur foi et se comportent comme si les mystères ultimes de la vie étaient résolus, comme si nos refoulements, nos «zones d’ombres», nos doutes, nos ambiguïtés pouvaient disparaître d’une pichenette de raison et de bonne volonté, comme si la matière ne conservait pas toujours une partie d’indétermination, comme si la chute n’avait pas émoussé nos sens, voilé notre intelligence et affaibli notre volonté.

Accordez-moi de votre côté qu’il s’agit d’une dérive. Le dogme ne prétend pas dissiper le mystère. Il le formule, lui donne sa place en le reliant aux autres dogmes et à nos fins dernières. Il approfondit le mystère, le rendant ainsi, si j’ose dire, encore plus mystérieux.

D’autres encore voient le dogme comme une arme du clergé pour dominer les fidèles. Je ne dis pas que ce détournement de l’autorité n’existe pas. Mais c’est un détournement, non une caractéristique du dogme.

Ne parlons pas de bétonnage. Il serait plus juste de voir le dogme comme un ensemble cohérent de vérités arrachées de haute lutte, avec l’assistance du Saint Esprit, à un texte qui parle de Dieu avec les mots humains. A partir du kérygme, c’est-à-dire de la proclamation des vérités de foi élémentaires, le dogme se développe par nécessité. Il ne peut pas ne pas se développer, au gré des erreurs nouvelles qu’il rencontre. Il rythme le progrès de la foi. Il résiste aux interprétations simplificatrices, sectaires ou déviantes. Il en tire même d’utiles précisions.

Le dogme est dur de la dureté du rocher. On peut y bâtir sa maison, s’y accrocher dans la tempête.

Les abus dont nous parlons plus haut menacent dès qu’on passe de la lecture des textes sacrés aux développements logiques et théologiques. Il faut être d’autant plus précautionneux dans la recherche et mesuré dans l’affirmation qu’on déroule plus avant la chaîne des raisonnements et des déductions.

Plus une vérité est élevée, plus son usage impropre, imprudent ou excessif est dangereux, et plus ses dérives sont graves. En cela, le dogme est gros des plus grands dangers. Pour autant, reconnaissez qu’il y aurait de l’obscurantisme à brider son intelligence et à rester volontairement en deçà de la connaissance possible pour éviter les abus.

En vous remerciant de continuer à lire une Nation qui vous irrite souvent, je vous envoie, cher Monsieur, mes bonnes salutations.

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