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L’obligation de servir: une tradition d’avenir

Xavier de Haller
La Nation n° 1964 5 avril 2013

Pour assurer sa sécurité et, partant, celle de ses citoyens, un Etat a plusieurs solutions qui s’offrent à lui. Les Suisses en ont choisi une qu’ils adaptent depuis le XIIIe siècle, soit depuis que le Saint Empire Romain Germanique a octroyé aux communautés rurales de la Suisse centrale le droit de porter des armes pour assurer la sécurité du transit par le col du Gothard. Notre système de «citoyen-soldat» a pris son essence dans les villages, puis est devenu cantonal et finalement fédéral dès 1848. Ce système, qui est à l’origine de celui que nous connaissons aujourd’hui, poursuit sa mue au gré de l’évolution de la situation géopolitique et sécuritaire. Il est l’un des éléments qui nous ont aidés à éviter nombre de tragédies, notamment les deux conflits mondiaux du siècle dernier.

Dans un XXIe siècle qui s’annonce tout sauf paisible, certains milieux, représentés notamment par le GSsA, les Verts et le Parti socialiste, s’attaquent à notre système par le truchement d’une initiative alibi qui n’a d’autre aspiration que de porter un coup fatal à notre armée et à notre sécurité nationale. Les arguments généraux invoqués à l’appui de cette initiative sont des plus folkloriques: la guerre est interdite par le droit international; il faut enseigner et pratiquer la paix; les moyens de paix existent; les révolutions non violentes montrent que l’armée n’est pas une solution pour un peuple; l’armée est impliquée dans presque tous les crimes récents contre l’humanité; le système militaire est discriminatoire. Voilà sommairement ce que les initiants vont arguer. Toutefois, aucun des arguments susmentionnés ne résiste à un examen quelque peu sérieux.

Malgré l’interdiction de principe de la guerre introduite dans la charte des Nations Unies en 1945, plus d’une vingtaine de conflits armés sont encore d’actualité. Même si l’Afrique a été particulièrement touchée depuis les années soixante (environ trente conflits armés pour neuf millions de morts), l’Europe n’a pas été épargnée. Ainsi, depuis la fin de la guerre froide, plusieurs conflits ont été recensés notamment en Slovénie, en Tchétchénie, en Moldavie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo ou encore en Macédoine. Cela prouve que l’interdiction de la guerre est une pure vue de l’esprit. Il est utopique, voire irresponsable, de fonder une politique de défense sur l’idée que la guerre est quelque chose de proscrit et qui ne frappera (plus) jamais nos régions. L’histoire tend à démontrer que la paix, que ce soit son maintien ou son instauration, nécessite toujours le recours à une force militaire. Dès lors, il est insoutenable de prétendre que la paix peut se passer de la composante militaire pour se construire uniquement sur des ressources humaines et économiques.

La défense militaire est une composante – parmi d’autres – de la paix et de l’indépendance de notre pays. Notre armée de milice est la réserve opérationnelle de notre gouvernement. La métaphore peut apparaître simpliste, mais notre armée de milice est au gouvernement ce que le banc des remplaçants d’une équipe de football est à son entraîneur. Il s’agit d’un moyen qui doit être prêt à intervenir en cas de crise afin de garantir la sécurité de nos infrastructures, la protection de notre population et la liberté de manœuvre de nos autorités. Or, l’initiative qui sera soumise au peuple en novembre prochain a pour but de supprimer cette réserve opérationnelle. Pour reprendre la métaphore utilisée plus haut, accepter cette initiative reviendrait à dire à un entraîneur qu’il doit gagner le championnat avec ses onze joueurs de base, sans pouvoir faire de changement.

Même si certains milieux prétendent que l’initiative du GSsA ne propose pas de supprimer l’armée mais simplement d’abolir l’obligation de servir, il ne faut pas être dupe. Accepter cette initiative reviendrait à supprimer notre armée, qui serait privée de ressources en hommes. Là encore, l’argument des initiants, qui prétendent vouloir une armée axée sur la milice volontaire, ne résiste pas à un examen soutenu. Tout d’abord, en cas de suppression de l’obligation de servir, la Suisse devrait se passer de l’énorme potentiel de ses citoyens-soldats. En effet, quelle armée au monde peut se targuer d’avoir dans ses rangs des représentants de toutes les professions? L’une des forces de notre système de milice est de permettre, dans une certaine mesure, la mise à disposition des connaissances du citoyen au profit du soldat. On aura toujours un mécanicien, un informaticien, un charpentier, un cuisinier, un médecin, un électricien ou encore un bûcheron qui saura se rendre utile. Le milicien apporte ses valeurs morales et ses capacités à comprendre les besoins et les appréhensions de la population civile. Le recrutement des cadres se fonde aussi sur ce terreau d’excellence. Tant l’armée que la société civile bénéficient l’une et l’autre des compétences spécifiques acquises.

En revanche, les pays qui ne connaissent plus l’obligation de servir rencontrent des problèmes importants lorsqu’il s’agit de recruter du personnel qualifié. Les volontaires recrutés sont en général trop peu nombreux et ne possèdent pas le profil adéquat. A titre d’exemple, il apparaît que la Grande-Bretagne recherche ses soldats dans les prisons et parmi les sans-abri; l’Espagne recrute au sein de ses anciennes colonies d’Amérique du Sud; les Etats-Unis enrôlent de plus en plus de recrues au casier judiciaire chargé. L’attractivité du service militaire volontaire et son acceptation au sein de l’économie et de la société seraient dans tous les cas inférieurs aux valeurs actuelles. Cela serait d’autant plus vrai en ce qui concerne les cadres, qui devraient accomplir un service plus long que la troupe et dont le recrutement serait encore plus difficile. La qualité des cadres, qui est un élément essentiel à toute armée, sera fortement péjorée par cette difficulté à attirer des personnes compétentes.

Les problèmes de recrutement d’une milice volontaire ne peuvent être résolus que par le versement de primes pécuniaires substantielles (par exemple financement d’une formation, réduction d’impôts, soldes attractives, etc.). Un tel système contredit notre vision du volontariat et les sommes investies pour attirer les volontaires seraient à tel point élevées qu’une armée professionnelle serait encore moins coûteuse. Une milice volontaire mène de facto à une armée professionnelle. Or, une armée professionnelle coûte plus cher qu’une armée de milice et doit être occupée en permanence. Une armée professionnelle qui a pour mission d’assurer la défense nationale, ce qui est la mission constitutionnelle primaire de notre armée, doit avoir un effectif largement supérieur aux cinq mille soldats de milice qui sont actuellement en service simultanément. Partant, ce contingent de soldats professionnels coûtera nettement plus cher au contribuable qu’une armée de milice de cent mille hommes dont seulement environ cinq mille font du service simultanément. L’obligation de servir et l’armée de milice constituent les solutions qui sont les plus économes pour notre pays. Le système de milice permet en outre d’impliquer directement l’économie dans le financement de la défense nationale puisqu’elle met à disposition ses collaborateurs, voire ses collaboratrices, pour les périodes de service militaire, ce qui représente un coût certain. En revanche, une armée professionnelle est uniquement financée par l’Etat, c’est-à-dire par le contribuable.

Contrairement à ce que beaucoup prétendent, le niveau de notre armée est tout sauf mauvais. Les infrastructures d’instruction sont modernes et adaptées. Les programmes d’instruction sont pensés par des personnes compétentes qui, souvent, ne comptent pas leurs heures. La collaboration entre les cadres professionnels et les miliciens se passe en principe très bien. Ces différents éléments permettent d’obtenir une armée qui possède de solides bases pour garantir l’indépendance de notre pays.

Aujourd’hui, notre système de milice permet de mobiliser le nombre de soldats requis par les circonstances concrètes, à savoir selon les risques et les besoins. Une armée professionnelle, dont le contingent dépassera cinq mille soldats, devra être occupée en permanence. Cette situation conduira inévitablement à une multiplication des travaux (et des coûts) inutiles et des engagements probablement contestés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. En cas de grave péjoration de la situation géopolitique, une armée professionnelle s’avérera trop petite pour assurer la défense du pays, ce qui reste la mission prioritaire de l’armée selon la Constitution fédérale. Dès lors, il apparaît qu’une armée professionnelle sera systématiquement trop grande en temps de paix et trop petite en temps de guerre.

Vivre dans un pays stable et en paix est quelque chose qui se mérite. Nous avons la chance de pouvoir vivre dans un pays qui a été épargné par les grandes crises géopolitiques et qui nous offre une qualité de vie très appréciable. Notre système politique se fonde sur le respect des valeurs fondamentales que sont la liberté et la protection des individus. Nous avons la chance de pouvoir débattre et faire valoir nos opinions. Tout cela n’est pas acquis. Il se peut qu’un jour, le plus lointain possible espérons-le, nous soyons amenés à devoir nous défendre. L’histoire a démontré que, quand ce jour arrive, il est vital d’avoir une force armée préparée et des citoyens aptes à répondre à l’appel des drapeaux. A ce jour, seule une armée de milice, composée de citoyens-soldats, offre la garantie de pouvoir faire face à cette situation extrême. L’histoire a démontré qu’un pays a toujours une armée sur son territoire, que ce soit la sienne ou celle d’un Etat tiers. Autant que ce soit la nôtre.

XAVIER DE HALLER, Capitaine, cdt cp chars 17/2 

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