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Allons à Piogre… ferrer les mouches!

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 2100 6 juillet 2018

On sait bien que les habitants établis le long de la rade de Genève sont des «Radins», mais juste ciel, d’où vient donc l’expression «aller à Piogre» qu’utilisaient nos parents et nos grands-parents et que l’on voit ressurgir ici ou là?

Il s’agirait d’un ancien mot savoyard (d’origine ardéchoise?) utilisé pour désigner le bout du monde, devenu synonyme de Genève dans le parler vaudois, puis sous la plume de deux humoristes du bout du lac, Louis Bron et Raoul Riesen, alias Le Renquilleur, puis Le Furet.

Si l’on en croit le Lexique dauphinois, l’expression «aller à Piogre» signifie «aller au diable vauvert», avec cette précision: «… où les chiens jappent de la queue!» A partir de là, semble-t-il, des Vaudois ont forgé l’expression «aller à Piogre, ferrer les mouches!» ou encore «aller à Piogre, derrière la Lune!»

Selon Jean-Pierre Cuendet, auteur de Parlons vaudois, «Piogre, c’est Genève. Et c’est à Genève qu’étaient amarrées les mouches durant l’hiver, les mouches étant les bateaux-caboteurs de la Compagnie Générale de Navigation. Chaque semaine, on envoyait depuis Lausanne un employé qui contrôlait les amarrages hivernaux: “Va à Piogre ferrer les mouches!”»

Selon Jean-Pascal Delamuraz, des bateaux comme le «Rhône», le «Mercure», le «Ville-de-Vevey» et le «Chablais» transportaient chaque année, pendant l’été, des dizaines de tonnes de marchandises: «En hiver, on les remisait sagement en rade de Genève où on les ancrait par groupes, les transports de marchandises étant, pour l’essentiel, suspendus. C’est de cette pratique, qui exigeait des exploits nautiques considérables, qu’est née l’expression “va à Piogre ferrer les Mouches!”, opération qui consistait à jeter l’ancre et à amarrer solidement ces bateaux pour l’hiver.»

Récupéré par l’humoriste Louis Bron (1863-1935), d’origine vaudoise, directeur à Genève du populaire hebdomadaire Guguss, maire du quartier de Saint-Gervais en 1906 et 1907, le mot a connu dans la presse une nouvelle jeunesse lorsque Raoul Riesen (1932-2000) l’a systématiquement utilisé dans ses chroniques de La Suisse (quotidiennes), du Journal de Genève (un jour sur deux) et de la Tribune de Genève (hebdomadaires) pour désigner la Cité de Calvin.

«Et ce sera tout pour aujourd’hui», comme avait l’habitude de conclure le regretté Raoul Riesen.

Référence

Michel Rime (propos recueillis par), «Le Furet dit ce qui fait le sel et la pâte de Genève», 24 heures, 23 avril 1999 [Le Furet attribue l’expression à «un certain Bron, d’origine française [sic]»; le directeur de Guguss, d’origine vaudoise, a dû se retourner dans sa tombe!]; Jean-Pascal Delamuraz, «Le Léman: le maître élément», Bulletin du sauveteur, No 23, novembre 2003; Jean-Pierre Cuendet, Parlons vaudois, Genève, Slatkine, 2005, p. 127.

 

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