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Les Jardins suspendusde Jean-Louis Kuffer

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2134 25 octobre 2019

Qu’est-ce qui nous attire vers un livre? Un titre, la réputation de l’auteur, la page de couverture, un conseil d’ami, l’odeur des pages, l’instinct… On peut aussi se livrer à la perspicacité de lecteurs de confiance, qui jouent le rôle de guides providentiels. Les meilleurs d’entre eux ont une vision partiale, passionnée, qui heurte parfois nos propres goûts. On peut citer Kléber Haedens, injuste et magnifique dans Une histoire de la littérature française, ou plus récemment Charles Dantzig qui fait visiter, avec panache et préjugés décomplexés, les lettres française et mondiale dans deux appétissants Dictionnaires égoïstes. Kuffer lui-même rappelle à notre attention le génial John Cowper Powys en «druide bienveillant» dans ses Plaisirs de la littérature.

Jean-Louis Kuffer fait donc partie de ces éveilleurs qui font regretter de ne pas avoir assez d’années devant soi pour dévorer la littérature universelle. Pendant un demi-siècle, il a été ce guide précieux dans diverses publications. Un choix de ses chroniques et de rencontres avec des écrivains composent Les Jardins suspendus, édité par Pierre-Guillaume de Roux. Jean-Louis Kuffer ne parle que de ce qu’il aime. Ces exercices d’admiration se présentent comme une lente et longue promenade à travers les rayons de sa bibliothèque. Mais il y a aussi en préambule des réflexions sur la lecture et l’écriture, sur le métier de critique. «Écrire m’est devenu aussi vital que respirer, mais écrire sans vivre ou sans lire, qui renvoie à la vie et à l’écriture des autres, me semblerait tout à fait vain.» Le court chapitre qui a inspiré le titre du volume est une merveilleuse prose poétique et philosophique: Le jardin suspendu, vélocipédie toscane, en 1974: «Je me trouvais ce soir-là dans la lumière accordée de Cortone, et de ce balcon je voyais le monde, et je me disais que tout était bien. […] Je ne voyais alors que la face claire du monde, j’absorbais et j’étais absorbé.» Dans cette page, il n’est question ni de livres ni d’écriture, mais du simple bonheur d’être au monde, exprimé avec ce lyrisme sans grandiloquence qui imprègne le style toujours distingué de son auteur.

L’essentiel des Jardins suspendus est consacré à des auteurs de la seconde moitié du XXe siècle, sans distinction de langue, de nationalité, d’opinion politique. Ainsi se côtoient, dans la même admiration, le fasciste Rebatet et l’antifasciste Imre Kertész. Le génie des titres des chapitres et déjà une invitation à les lire: Alexandre Vialatte est qualifié de «rebouteux mirifique», Marcel Aymé de «sage aux yeux mi-clos», Yves Bonnefoy de «sourcier de parole». «Le fleuve et la mer» annonce une grande œuvre: celle d’Amos Oz.

Les lettres romandes sont représentées par des analyses à la fois bienveillantes et suffisamment distanciées, où se rencontrent Cingria, Amiel, Jaccottet, Haldas, Barilier, et bien sûr Ramuz, Chessex et Chappaz. Ce dernier donne lieu à une critique pointue de l’orgueil suranné des milieux littéraires parisiens, incapables de concevoir qu’on écrit aussi en français en Algérie, au Québec, à Genève. Edmonde Charles-Roux se fait étriller pour avoir déclaré sur les ondes de le Radio romande «sur le ton de la marquise en tournée dans les colonies: “ Et vous savez que Chappâze écrit un très joli français! “»

Référence:

   Jean-Louis Kuffer, Les Jardins suspendus, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 416 p.

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