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Un bouquet de souverainetés

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2147 24 avril 2020

Il est naturel que tout producteur cherche à réduire ses coûts de production. Les entreprises pharmaceutiques suisses ont poussé cette recherche au point extrême où elles se sont mises, et nous avec, dans la dépendance de pays étrangers. Cela pose le problème politique de notre indépendance. Cela pose aussi un problème moral à l’égard de leur clientèle. En mettant des médicaments sur le marché, dont certains doivent être pris régulièrement et sur une longue durée, les fabricants prennent une responsabilité à l’égard des consommateurs. La capacité de fabriquer leurs produits en quantités suffisantes même dans des circonstances adverses fait partie du contrat implicite qui les lie aux malades, aux médecins et au personnel soignant, aux assurances et à l’État. La désinvolture des pharmas sur ce point, leur absence de vision, y compris de vision à court terme, a choqué. C’en est au point que la plupart des citoyens suisses, quelle que soit leur tendance politique, signeraient sans barguigner une initiative en faveur de la «souveraineté sanitaire».

Le terme évoque immédiatement celui de «souveraineté alimentaire». Deux initiatives fédérales sur ce thème furent soumises au peuple et aux cantons le 23 septembre 2018. Acceptées par les Vaudois, elles échouèrent sur le plan suisse. La Nation s’y était opposée, non sur le fond, mais à cause de leur caractère excessivement détaillé, de leur imprécision et du dirigisme bureaucratique qu’elles mettaient en œuvre. Il arrive, bien trop souvent, qu’une initiative exprimant une préoccupation légitime soit irrecevable à cause d’un mécanisme inapproprié ou de dommages collatéraux excessifs.

De leur côté, les partis verts, adeptes des «cycles courts», du commerce local, notamment en matière d’alimentation, de l’agriculture bio et des contrôles de qualité pointus, ne peuvent que désirer une «souveraineté écologique» qui préserve le consommateur suisse des produits étrangers intraçables, imbibés de pesticides, transportés d’un bout à l’autre de la planète, fabriqués dans des conditions biologiques, sanitaires et sociales inférieures à celles que la loi impose à nos producteurs.

Quant aux syndicats, on sait qu’ils désapprouvent l’Accord-cadre que l’Union européenne presse la Suisse de signer. Ils craignent pour les mesures d’accompagnement, le niveau des salaires suisses et les conditions de travail. Ils ont aussi de bonnes raisons de craindre pour la paix du travail et le régime des conventions collectives, aussi contraires que les cartels à l’idéologie libérale de Bruxelles. Les syndicats sont-ils également sensibles au caractère pervers d’un droit évolutif qui nous impose d’avance une évolution du droit que nous ne connaissons pas? Quoi qu’il en soit, c’est la nécessité d’une «souveraineté sociale» qui s’inscrit en filigrane dans leurs prises de position.

Les uns et les autres affirment donc la nécessité de frontières territoriales précises et contraignantes qui protègent nos spécificités dans le domaine qui leur tient à cœur. Ils refusent que la politique suisse, dans ce domaine en tout cas, ne soit qu’un prolongement aveugle de la politique européenne ou mondiale.

Ces revendications sont justifiées. Leur commune faiblesse est d’être sectorielles. Peut-on, par exemple, revendiquer la maîtrise en matière sanitaire et pas en matière sociale, être souverain en matière environnementale et pas en matière agricole?

En fait, ces revendications sectorielles convergent et renvoient toutes, sans le dire, à la souveraineté politique. Cette souveraineté-là ne porte pas sur tel ou tel thème. Elle est générale. Elle est l’affirmation, institutionnelle, militaire et diplomatique de notre volonté d’exister. C’est une pratique constante et attentive visant à préserver, au besoin par la force, face aux pressions et menaces extérieures, l’indépendance de la Confédération, condition des autonomies cantonales et des libertés individuelles. En défendant cette souveraineté-là, le Conseil fédéral défend du même coup, nous dirions presque «sans y penser», toutes les souverainetés particulières qu’on voudra, alimentaire, sanitaire, environnementale, écologique, sociale, pédagogique, que sais-je?

Nos autorités politiques avaient un peu oublié cette fonction politique première. Un tout petit virus la leur a brutalement rappelée.

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