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Rentrée parlementaire: déconfiner aussi les lois

Félicien Monnier
La Nation n° 2148 8 mai 2020

En politique, peu de choses sont plus effrayantes qu’un parlementaire désœuvré. Lundi dernier a débuté la session extraordinaire des Chambres fédérales consacrée au coronavirus.

Depuis le début du semi-confinement le 17 mars dernier, Mesdames et Messieurs les députés fourbissaient leurs armes. Les réseaux sociaux débordaient d’annonces et de stories1 en tout genre: «Regardez, je prends le train pour Berne», «Regardez, je m’assieds au B****** Palace pour une séance de commission», «Regardez, je reviens de Berne». Le véritable mot d’ordre là-derrière était surtout: «Regardez! Je ne suis pas inutile! (Mais regardez bien)». M. Lionel Hort, dans ces colonnes, insiste sur l’importance qu’ont prise, au plus fort de la crise, les représentants des associations professionnelles. Pendant deux mois, nos si décriés lobbies auront été les vrais représentants du peuple et des cantons. Cela donne à réfléchir sur l’importance de la représentation corporative.

La courte session qui vient de se terminer n’aura pas suffi à absorber l’énergie créatrice que nos députés promettent encore de développer. L’objectif de la semaine était d’abord d’entériner rétroactivement les mesures prises par le Conseil fédéral. L’engagement de notre armée a ainsi été ratifié, de même que de nombreux postes extraordinaires du budget fédéral.

Cette coûteuse session extraordinaire s’est aussi transformée en opération de communication. Mardi 5 mai, Mme Isabelle Moret et M. Hans Stöckli, présidents de chacune des Chambres, ont discuté par messagerie instantanée avec les citoyens. Le site internet du parlement (www.parlament.ch) a publié de très nombreuses photographies montrant combien les services du parlement ont été efficaces à organiser l’immense dislocation à la BernExpo, permettant, comme il se doit, un strict respect des distances sociales! Que le parlement se trouve obligé de mener une communication aussi active démontre qu’il se sent, certes peut-être de loin et inconsciemment, remis en cause dans sa légitimité.

L’obsession des partis de vouloir tirer un bénéfice de la crise actuelle, de remodeler à leur sauce le «monde d’après», contribuera à n’en pas douter à une grande confusion institutionnelle. Le risque est important que des mesures soient adoptées aux doubles niveaux cantonal et fédéral. Cela pouvait, à l’ouverture de la session fédérale, se passer en matière d’aide financière à la presse ou à l’accueil extra-scolaire. Le Canton de Vaud, parmi d’autres, envisage en effet déjà de son côté de soutenir ces domaines. Il est impératif que les champs d’action soient les plus cloisonnés possibles. A défaut, la Confédération finira tôt ou tard par les investir totalement.

Dans un tel contexte, le Conseil fédéral a la responsabilité de freiner les ardeurs et de s’opposer à des mesures empiétant sur les souverainetés cantonales. Il l’a par exemple fait avec une motion de soutien aux institutions d’accueil extrafamilial des enfants ayant subi des pertes2. L’expérience nous a malheureusement appris que de très nombreuses centralisations sont le fait du gouvernement cantonal lui-même.

Le fédéralisme ne doit pas être le grand perdant de la reprise des travaux parlementaires. Dans les colonnes de 24 heures du 29 avril, M. Hans Stöckli, président socialiste biennois du Conseil des Etats, a affirmé que, dans la mesure où le droit d’urgence édicté par le Conseil fédéral était limité dans le temps, il faudrait que des lois fédérales prennent le relais. Sauf surprise, la seule loi fédérale au sens propre qui aura été adoptée cette semaine, au titre de loi urgente, est celle sur l’aviation civile. Le droit fédéral connaît en effet d’autres moyens de légiférer dans l’urgence3. Tous sont heureusement limités dans le temps. Il se peut néanmoins que les Chambres décident de valider une ordonnance d’urgence en lui donnant la base légale qui, pour le moment, lui fait défaut. On créerait dans un tel cas une nouvelle loi fédérale pour justifier, après coup, l’ordonnance adoptée dans l’urgence. Cela reviendrait à considérer comme normale une règle qui n’aurait en réalité pas pu être adoptée sans les pleins pouvoirs.

Là réside aujourd’hui le principal danger pour le fédéralisme. Il importe d’établir dès maintenant la liste de toutes les normes adoptées par les Chambres au prétexte de lutter contre la pandémie. Le Conseil fédéral a proposé un plan de déconfinement dans l’intérêt de notre économie et de notre santé mentale. Un plan de déconfinement des normes fédérales doit à son tour être envisagé, puis appliqué dans l’intérêt des cantons. S’il le faut, la Ligue vaudoise recourra aux outils de la démocratie directe.

Notes:

1  Story, anglicisme, nom féminin pour décrire une courte vidéo ou un texte animé sur une image statique parfois tremblotante, sporadiquement et spontanément publiée sur Facebook ou Instagram dans l’idée de faire participer ses followers à l’immédiateté de son quotidien.

2  Motion 20.3128, déposée le 15.04.2020, «Tout le monde doit prendre ses responsabilités en matière d’accueil extrafamilial pour enfants», Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national.

3  Il y a l’ordonnance du Conseil fédéral de préservation de la sécurité intérieure (art. 184 al. 3 Cst féd.), l’ordonnance de nécessité des Chambres fédérales (art. 173 al. 1 lit. c Cst. féd.), et les lois fédérales urgentes, avec ou sans base constitutionnelle (art. 165 Cst. féd.). Toutes doivent être limitées dans le temps. Seules les lois fédérales urgentes peuvent être soumises au référendum.

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