Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Consolider les trois piliers

Jean-François Cavin
La Nation n° 2151 19 juin 2020

Le régime suisse des retraites fait face à deux problèmes majeurs: l’allongement progressif et considérable de la durée de la vie humaine et, pour les caisses de pensions, la diminution durable du rendement des capitaux. Les organisations patronales et syndicales proposent des solutions, Après plusieurs échecs, le monde politique remet l’ouvrage sur le métier. On n’échappera pas à une prolongation du temps de cotisation et à une baisse du taux de conversion (le taux qui détermine la rente à partir du capital accumulé).

Dans ce contexte, Domaine public électronique du 7 juin, sous la signature de Mme Danielle Axelroud Buchmann, publie une critique frontale du système en vigueur, intitulée Retraites : la fable des trois piliers. On y lit que, contrairement au principe posé par l’article 112 de la Constitution fédérale, l’AVS ne couvre pas les besoins vitaux puisqu’il faut recourir à des prestations complémentaires (mais c’est justement ce que prévoit l’article 112a!); le «deuxième pilier», c’est-à-dire la prévoyance professionnelle, hautement inégalitaire, ne permettrait qu’à une minorité de maintenir le niveau de vie antérieur; l’épargne individuelle (le «troisième pilier») resterait «anecdotique», sauf pour les hauts revenus (or les dernières statistiques disponibles font état tout de même d’une épargne moyenne supérieure à 500 francs par mois pour les classes de revenu situées entre 5’000 et 7’000 francs mensuels).

S’agissant plus particulièrement des institutions de prévoyance, l’article affûte ses attaques. Reposant sur le modèle – décrit comme en voie de disparition – d’une carrière de quarante ans à temps plein, le «2e pilier» ne tient pas compte du parcours professionnel des femmes, avec ses interruptions et ses reprises de l’emploi à temps partiel; ni du travail non rémunéré des mères (mais l’AVS a introduit les «bonifications pour tâches éducatives»). Le seuil de revenu ouvrant l’accès à la cotisation obligatoire fait que 30% des femmes gagnent trop peu pour être affiliées à une caisse de pensions. De manière générale, le «2e pilier» n’est pas adapté aux carrières chahutées d’aujourd’hui. Et il recèle de graves inégalités, les cadres bénéficiant parfois d’un super-plan de prévoyance. Enfin, la gestion paritaire est difficile en pratique, la matière étant trop complexe et les données parfois trop opaques si l’administration du fonds est confiée à une société d’assurance.

Dans l’ensemble, Domaine public noircit fortement le tableau. Certains reproches sont certes fondés. Le seuil d’accès au «2e pilier» – selon le régime légal minimal, mais on peut faire mieux – est en effet trop élevé (on songe d’ailleurs à l’abaisser), ou pourrait être supprimé, la cotisation étant perçue dès le premier franc sur tout salaire régulier. Nous n’aimons pas la pratique des caisses d’appoint au bénéfice des cadres, dites du «bel étage»; l’expression montre bien qu’il s’agit d’un privilège assez déplaisant. Et le fisc ne favorise pas l’épargne individuelle autant qu’il faudrait, notamment dans le Canton de Vaud.

Pour le reste, nous ne pouvons suivre Domaine public. Le libre-passage étant bien réglé, les carrières en zig-zag ne sont pas pénalisées. La primauté des cotisations s’étant largement imposée dans le secteur privé, le risque que les actifs subventionnent indûment les rentiers s’est dissipé; c’est seulement dans les caisses publiques qu’il subsiste, avec le maintien de la primauté des prestations promises aux fonctionnaires retraités (mais de cela, Domaine public ne dit mot; touche pas au… domaine public?). La gestion paritaire fonctionne; les secrétaires syndicaux, ou des militants formés à cette responsabilité, ou des salariés familiers des chiffres discernent fort bien les enjeux, même s’ils ne font pas les calculs actuariels – l’automobiliste n’opère pas non plus lui-même les réparations délicates et les contrôles pointus de son véhicule.

Quant aux remarques principales sur l’inadéquation du système à la condition féminine, elles omettent un fait cardinal: on ne cotise que si l’on travaille. La prévoyance professionnelle, comme son nom l’indique, est liée à l’exercice d’une activité lucrative; c’est bien pourquoi le financement et l’organisation sont paritaires.

Où veut donc en venir Domaine public ? L’article n’indique pas les remèdes aux prétendus maux qu’il dénonce. Or, logiquement, le raisonnement conduit à séparer la prévoyance de l’activité salariée, au profit donc d’une rente populaire, allocation universelle en faveur des têtes blanches. Veut-on dissoudre ou nationaliser les caisses de pensions pour tout confier à l’Etat? Quand on pense aux efforts consentis il y a des décennies pour promouvoir la responsabilité sociale de l’entreprise, pour engager les patrons à se soucier des vieux jours de leurs employés, pour développer – au-delà de la paie immédiate du travail quotidien – ce qu’on appelait le salaire indirect! Faut-il vraiment anéantir tout cela?

Notre régime de prévoyance-vieillesse offre à nos retraités une sécurité enviable en comparaison internationale. Le financement complémentaire de ses deux piliers collectifs – répartition pour l’AVS, capitalisation pour la prévoyance professionnelle – accroît cette sécurité. L’AVS publique, qui plafonne les rentes mais non pas les cotisations, pratique une solidarité à notre connaissance unique au monde, mais qu’il ne faudrait pas pousser plus loin. Le «2e pilier», qui n’est étroitement réglementé que pour son socle obligatoire, laisse aux entreprises et aux partenaires sociaux la liberté de développer davantage les institutions dont ils ont la charge; ceux-ci trouvent d’ailleurs là un champ de collaboration qui conforte leur confiance mutuelle.

L’amélioration de la santé des sexagénaires et l’allongement de l’existence ici-bas ne sont pas des calamités. De toute évidence, il faut prolonger un peu – même très graduellement – la durée de la vie active. Le blocage entêté des forces socialo-féministes à ce sujet est absurde. Il devrait appartenir à la gauche éclairée de contribuer à lever cet obstacle .

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: