Les menaces de la caisse unique
Les Chambres examinent actuellement l'initiative pour une assurance-maladie de base unique. La gauche est pour, la droite est contre, avec quelques exceptions.
Pour les partisans, le système actuel est coûteux à cause des redondances administratives, mais aussi à cause des frais occasionnés par les nombreux passages individuels d'une caisse à une autre. Il est opaque au point que les assureurs échappent à tout contrôle. Il n'offre même pas une concurrence réelle qui contiendrait les coûts, puisque ceux-ci ne cessent de croître. Une caisse unique, en revanche, permettrait de les maîtriser. L'Etat fédéral pourrait enfin avoir une vue d'ensemble, contrôler le fonctionnement et en corriger les erreurs.
Les opposants ne nient pas les problèmes financiers du système actuel, mais les attribuent principalement aux progrès de la médecine, à l'accroissement des exigences des assurés et à l'allongement de la durée de la vie. Ils jugent qu'une assurance-maladie monopolistique ne ferait qu'aggraver la situation, comme on le voit avec les systèmes médico-hospitaliers français et anglais, pas moins coûteux, pas moins obscurs, lents et paperassiers.
En tout cas, une caisse-maladie unique serait, par ce seul fait, d'une tout autre nature que les caisses actuelles. Il suffit d'imaginer l'évolution de ses relations avec l'Etat, avec le corps médical et avec les assurés pour s'en convaincre.
Parlant d'une seule voix, collaborant en permanence avec les organes de l'Etat, la caisse unique se transformerait fatalement en un service administratif parallèle et suivrait le destin ordinaire de tout service administratif: gonflement du personnel, ralentissement des procédures, multiplication de la paperasse. L'opacité du système et la hausse des coûts suivraient tout naturellement.
A la tête de la caisse unique, il y aurait des représentants de la Confédération, des cantons, des assurés, des hôpitaux et des médecins. Elle serait donc la mieux placée pour faire la synthèse des problèmes de la santé en Suisse. Cette fonction, typiquement politique, augmenterait encore son pouvoir.
C'est donc en position dominante qu'elle pourrait négocier avec le corps médical, ou plus exactement faire plier ce corps professionnel encore trop indépendant à ses yeux. Ses statisticiens dicteraient les tarifs et ses médecins-conseils interviendraient discrétionnairement dans les diagnostics et les traitements.
Quant aux assurés, qui ne pourraient désormais plus s'en aller, ou simplement menacer de s'en aller, la caisse-maladie unique leur imposerait souverainement ses volontés, ses primes, ses procédures et son rythme.
Aujourd'hui, chaque caisse défend son autonomie face aux autres caisses et face à l'Etat. Cela la contraint à compresser ses coûts, à conserver une certaine distance par rapport à l'Etat, une certaine retenue face au corps médical, une certaine disponibilité à l'égard des assurés.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 17 décembre 2013)