Pas besoin d'une loi pour innover
L'économie suisse doit sans cesse innover: nouveaux produits, nouveaux procédés, nouveaux débouchés. Tous les politiciens sont d'accord, mais aucun ne s'engage vraiment, estime M. Fathi Derder, conseiller national de tendance libérale et président du Réseau, association romande de promotion de l'innovation.
En Suisse, les fonds alloués à la recherche et au développement sont importants, tant dans les Hautes Ecoles que dans les entreprises elles-mêmes. Ce que dit M. Derder concerne surtout la création de start-up, ces petites entreprises «à fort potentiel de croissance» exploitant une idée simple dans l'informatique, la finance ou les loisirs. La plupart font naufrage en peu de temps, mais certaines connaissent de belles réussites.
Il faut faciliter le lancement de ce genre d'entreprises en améliorant les conditions-cadres, dit M. Derder. Certes, et il est heureux que des associations comme Le Réseau fassent pression sur les élus pour que l'Etat réduise la paperasserie, qu'elles conseillent les jeunes créatifs, pas toujours dotés des compétences nécessaires en matière de gestion, de comptabilité et de brevetage, qu'elles facilitent leurs relations avec les banques, les investisseurs et l'administration. Faut-il aller plus loin et envisager, comme M. Derder, une loi sur l'innovation?
Etonnons-nous, le temps d'un paragraphe, de ce que des libéraux, dont l'idéologie est fondée sur la liberté individuelle, la propriété privée et la méfiance à l'égard de l'Etat, acceptent aujourd'hui, revendiquent même son aide dans la création d'entreprises.
Le problème d'une loi sur l'innovation est l'hétérogénéité absolue de l'administration et de l'esprit d'invention. L'administration vaut par la rationalité de ses schémas et la prévisibilité de ses décisions. Malheur au citoyen dont l'administration serait novatrice et surprenante!
L'innovation, au contraire, c'est l'imprévu. C'est le passage insaisissable de rien à quelque chose. C'est un saut qualitatif, on pourrait dire poétique, qui échappe à l'intelligence rationnelle, démonte l'esprit de système, dépasse les critères préétablis.
Or, il n'y a pas d'aide étatique sans subventions, pas de subventions sans contrôles et pas de contrôles sans critères préétablis. Il n'est pas absurde de craindre que la structure d'aide elle-même n'en arrive à entraver la réalisation d'idées excellentes pour non-conformité à ses critères.
Pensons aux dizaines de milliers d'entreprises créées en Suisse depuis 1985, date du refus populaire de l'arrêté sur la «garantie contre les risques à l'innovation»! Pensons aussi que si la Suisse n'est qu'au 61e rang mondial pour les structures officielles d'aide à l'innovation, elle est première pour les innovations proprement dites.
Autant de preuves paradoxales qu'une loi sur l'innovation serait contraire aussi bien à la nature des lois qu'à la nature de l'innovation.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 23 avril 2013)