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Un écrivain des derniers jours

Jacques Perrin
La Nation n° 1888 7 mai 2010
Il y a des écrivains dont nous voudrions être l’ami. Jérôme Leroy est de ceux-là.

Jérôme Leroy ne bouleverse pas la littérature française; son style n’offre aucun attrait particulier; comme tout ce qui paraît aujourd’hui, ses livres contiennent quelques coquilles et même des fautes d’orthographe; cela déçoit de la part d’un professeur de lycée. Cependant, on se réjouit de dévorer chaque nouvelle parution en quelques heures de lecture délicieuses. Ses intrigues, qui relèvent à la fois du genre policier et du roman d’anticipation, nous tiennent en haleine. Ses personnages surtout sont attachants: officiers de gendarmerie ou femmes-policiers blondes et énergiques, ils aiment la vie. La boisson, la cigarette et l’amour ne les effraient pas. Ils ne cèdent pas à la morale hygiéniste; ils opèrent dans une France mondialisée, calcinée par diverses pollutions, défigurée par les autoroutes et les centres commerciaux géants, livrée aux bandes ethniques et aux milices chargées de «sécuriser» les quartiers où l’«élite» de la bourgeoisie libérale et bohème s’est réfugiée. Bien qu’initiés aux «nouvelles technologies» et aux armes «sophistiquées», les héros de Leroy respectent le passé, attachés qu’ils sont à un monde où l’on pouvait être heureux en lisant du Balzac sur une plage déserte de Normandie, sans être «connecté» en permanence à «facebouc» ou à «touittère». Ils aiment trop les vins de France, les livres de poche écornés et la douceur de certaines peaux pour se satisfaire de liaisons virtuelles.

En attendant l’apocalypse, Leroy parvient à nous faire aimer le bleu particulier du ciel des Flandres françaises et nous donne envie de connaître des villes aussi improbables que Dunkerque, Valenciennes ou Caen. Ses personnages vivent au jour le jour; ils remplissent leurs missions sans transiger sur l’honneur alors que disparaissent petit à petit tous ceux qu’ils ont aimés. Ils vont vers la mort sans pleurnicher, faisant bonne figure jusqu’au bout. La nostalgie ne les décourage pas, au contraire, elle les aide à conserver une certaine décence morale et la joie d’exister, en pleine décomposition sociale.

Parmi la vingtaine de livres que Leroy a commis, nous conseillons Monnaie bleue (1997), La Grâce efficace (2003), Big Sister (2004) et La Minute prescrite pour l’assaut (2008).

Nous avons horreur des minces volumes écrits tout exprès «pour la jeunesse» et pourtant nous sommes prêts à reconnaître que La Princesse et le Viking, qui raconte les amours d’un adolescent normand pour une princesse arabe, est un petit livre tout à fait réussi, échappant aux diverses espèces de «politiquement correct» qui ravagent habituellement la nouvelle littérature édifiante destinée aux «ados».

Physiologie des lunettes noires: tel est le titre de la dernière production, autobiographique, de Leroy. Il y évoque son penchant quasi érotique pour les fameuses Ray-Ban, notamment pour les Wayfarer portées par Audrey Hepburn dans le film Diamants sur canapé. Nous apprenons que les Ray-Ban furent imaginées par Raymond Bankerstein, fils d’un rabbin de Bucovine, échappé de son «shtetl» roumain pour éviter les pogroms, émigrant en France, adhérant au PC, engagé dans la colonne Durruti durant la Guerre d’Espagne, traversant l’atlantique, inventant et commercialisant une nouvelle sorte de lunettes teintées vite adoptée par les pilotes de l’armée de l’air. Il s’est souvenu que, durant sa jeunesse roumaine, ébloui par le soleil, il avait raté le milicien pogromiste de la Garde de Fer qu’il visait…

Leroy se dit lui-même réactionnaire et… communiste. Il frise la pose, quelque peu égaré par son dégoût du libéralisme. Enfin… si tous les communistes étaient comme Leroy, nous aurions des amis communistes.

Il est à signaler que Leroy écrit régulièrement sur le site à contre-courant www.causeur.fr, dirigé par l’excellente journaliste Elisabeth Lévy, amie du regretté Philippe Muray, c’est tout dire. Leroy s’y montre très caustique.

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