Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La taille critique de Mme Chan

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1892 2 juillet 2010
Mme Margaret Chan, directrice de l’Organisation mondiale de la santé a, pour reprendre la formule de Jacques Pilet1, «fait monter un soufflé planétaire» à propos de la grippe h1N1, censée, selon elle, causer un cataclysme sanitaire sans précédent. toujours selon Jacques Pilet, la dame aurait lancé son cri d’alarme sous l’influence de sociétés pharmaceutiques, lesquelles auraient même corrompu certains des experts chargés d’évaluer le danger.

Ces faits mettent en cause d’une façon exceptionnellement nette et incontestable les vertus magiques qu’un vain peuple attribue à l’unification. C’est heureux, car nous vivons sur ce point dans une contradiction totale. D’une part, on considère comme allant de soi que le seul fait d’unifier (les entreprises, les syndicats, les associations humanitaires, les polices, les hôpitaux, les écoles, les banques, les forces armées, les communes, les Etats, que sais-je?) conduit à plus de simplicité, plus d’efficacité, plus de contrôle interne, plus d’économies, plus de morale.

D’autre part, comme les Suisses ne cessent de le constater avec la centralisation fédérale, les grandes unifications ne répondent jamais à cette quintuple attente. Et pourtant, cela ne semble pas entamer le moins du monde leur confiance dans le principe même.

A notre sentiment, cet aveuglement involontaire s’explique par l’allégeance inconditionnelle du monde moderne au principe d’égalité. De ce principe, il tire une double certitude: premièrement, l’égalité est le chemin nécessaire de la justice, secondement, l’égalité ne peut exister que dans un système unifié sur le plan mondial. Dans cette perspective quasiment religieuse, le monde moderne supporte apparemment sans se formaliser que la marche vers l’avenir radieux soit jalonnée d’événements qui semblent l’en éloigner. Pourquoi, pense-t-il, les voies du Progrès humain, pour rationnelles qu’elles se prétendent, seraient-elles moins insondables que celles de la Providence divine?

M. Pilet dénonce dans l’OMS une «boutique où les pratiques administratives et les processus de décision restent opaques». C’est plus ou moins le cas de toutes les administrations, mais ça l’est éminemment dans les institutions mondialisées, dont l’unité n’existe que sur le papier et où s’entrechoquent les intérêts mercantiles, les passions idéologiques, les incompréhensions linguistiques et culturelles, les oppositions religieuses. Cette vaporisation du pouvoir autorise toutes les manoeuvres de coulisses, les pressions financières, les chantages, la concussion, le clanisme, le népotisme et tout ce que l’inépuisable génie humain ne cesse d’inventer pour tourner la loi et les usages.

Le désordre est tel que la question des capacités et de l’honnêteté de Mme Chan est sans intérêt. Quand elle serait pourvue de toutes les qualités scientifiques et morales (après tout, c’est peutêtre le cas), ses décisions n’en seraient pas plus fiables.

Or, c’est l’unification en tant que telle qui engendre cette situation inextricable. Et c’est logique: on crée inévitablement le pire des désordres quand on nie la complexité des choses au nom d’une simplicité abstraite et qu’on applique une solution unitaire à des problèmes qui, même s’ils s’énoncent théoriquement de la même façon, diffèrent du tout au tout en fonction des populations auxquelles ils se posent.

La solution unitaire ne convient qu’à une situation où règnent une certaine cohérence sociale, un certain accord implicite sur la place et l’importance des choses les unes par rapport aux autres.

C’est pourquoi nous ne cessons de plaider pour que l’aire d’application des solutions politiques corresponde à l’aire dessinée par les moeurs et l’histoire, c’est-à-dire, pour ce qui nous concerne, le Canton de Vaud. L’unification fait déjà problème à l’échelon suisse, on le voit avec HarmoS, comme on l’a vu avec Swissmedic et comme on le verrait avec un grand département fédéral de la sécurité coiffant l’armée et la police.

La mondialisation du pouvoir a pour corollaire la mondialisation des erreurs du pouvoir. une mauvaise décision du médecin cantonal vaudois fait des dégâts dans le Canton, mais le mal est en gros contenu à l’intérieur des frontières vaudoises. Nos voisins sont libres de faire mieux. Nos frontières les protègent eux aussi, on n’y pense pas assez. En revanche, comme on l’a vu, une décision erronée ou simplement mal calibrée de Mme Chan déclenche des troubles non maîtrisables dans le monde entier.

Les idéologues de l’unification attribuent toujours leurs échecs au fait qu’on n’est pas allé assez loin. En d’autres termes, par la faute des forces de résistance conservatrices, on n’a pas encore atteint la fameuse «taille critique», par quoi il faut entendre la taille propre à assurer une maîtrise totale et définitive du problème. Il faut donc unifier plus large et plus profond. Ainsi, dans quelques années, on nous proposera une école européenne, que l’on confiera aux experts de l’OCDE, en lieu et place de l’inefficace HarmoS fédéral, décidément trop petit et trop peu critique. L’importance qu’ont prise le «processus de Bologne» sur le plan universitaire et les tests PISA sur l’école obligatoire annoncent cette évolution. C’est le principe de la fuite contre en haut.

Le problème de Mme Chan, c’est qu’elle est déjà tout en haut. Plus de fuite possible en direction d’une taille supérieure qui apporterait enfin la criticité souhaitée!

La démonstration est faite et refaite: l’unification ne conduit pas à plus de simplicité, d’efficacité, de contrôle interne, d’économies et de morale. Seules les nations, par l’ordre relatif qu’elles assurent, offrent le cadre d’une maîtrise des choses, une maîtrise limitée quantitativement et qualitativement certes, mais réelle.


NOTES:

1 Les moutons sont fatigués, L’Hebdo du 17 juin 2010.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: