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Un mal qui n’ose pas dire son nom

Michel HugueninOn nous écrit
La Nation n° 1892 2 juillet 2010
Il couvait de longue date, rampant, sournois. Il attaquait le cerveau, avec une prédilection pour celui des pauvres hères végétant dans les salles de rédaction, frappant ceux qui, ne sachant rien faire de leurs mains ni de leurs pieds, rêvaient de faire quelque chose de leur plume. Esprits petits avides de grandeur, pantouflards épris d’action sans danger, gens étroites voulant tout élargir, ils se demandaient, fébriles, comment gravir les échelons de la gloire en brassant du vent et en pondant de la copie. Leur maladie, car c’en est une, fut diagnostiquée d’abord sur les bords du Léman: la fusionnite était identifiée.

On raconte que l’acteur Michel Simon, outré par le couac de son film Boudu sauvé des eaux, partit de Lausanne en emportant une éprouvette contenant de l’eau du lac. Il prétendait vouloir la faire analyser car, selon ses dires, elle devait receler un virus de connerie. Pauvre naïf! Que de lacs mériteraient semblable soupçon! Ou plutôt, quel lac ou quelle rivière ne le mériterait point?

Pourtant, le virus de la fusionnite, mutant de celui que cherchait Michel Simon, frappa bel et bien les rives du Léman en premier. Il fallut la dure chirurgie d’un scrutin populaire pour faire rentrer le monstre dans sa tanière, à savoir la rédaction de L’Hebdo, la matrice de mille sornettes se croyant branchées. La fusionnite, douchée par les peuples genevois et vaudois, comme le Général Alcazar, s’écria: «Caramba! Encore raté!» Et comme lui, elle essaya encore.

Car l’agitation mentale qui s’empare d’un demi-intellectuel hebdomadaire ne saurait se laisser terrasser par un simple coup de pied au «quelque part», aussi catégorique, populaire et démocratique fût-il. Adonnée quelque temps à des bricolages fumeux, l’hydre de la fusionnite déversa ses métastases chez des voisins proches, développant une tumeur nouvelle: le canton «Arc jurassien».

Visant d’abord à englober le canton de Neuchâtel et les deux moitiés du Jura, le virus semble se contenter aujourd’hui des deux seuls cantons de Neuchâtel et du Jura. Contrairement à une idée reçue, les virus pétouillent aussi parfois: ils ne sont pas meilleurs que nous.

Dans les zones infectées, on nota des réactions de rejet. Les porteurs du mal furent l’objet d’incivilités, comme une journaliste du Matin affublée d’une burka. A Delémont, on utilisa même, pour les décrire, une extrémité du tube digestif. On sait que là-bas, on ne recule devant aucune outrance verbale. Il en résulta une grande perplexité.

On décida d’organiser un «repas de travail» à Berne le 17 juin. Qu’est-ce qu’un «repas de travail»? Un gueuleton entre copains où l’on prétend avoir travaillé pour que la princesse paie l’addition. Sous la direction du camarade Rennwald, ledit gueuleton réunira le camarade Moritz, le camarade Crevoisier, le camarade Froidevaux, le camarade Studer, le camarade Bonhôte, le camarade Kurt et le camarade Rumley. On a invité aussi le camarade Berberat, le camarade Maire et quelques personnes qui ne sont pas encore des camarades, mais pourraient presque le devenir.

Inutile de dire que ces personnes, invitées mais non contaminées d’après ce que l’on sait, possèdent une fonction cosmétique: afin que le rose bonbon (ou le rose «bobo») ne soit pas trop criard, on a voulu mettre d’autres coloris dans le bouquet. On ignore si la tentative réussira. A défaut, on rigolera entre soi.

Qu’en sortira-t-il? Rien. Mais l’important, dans l’existence, n’est-ce pas la camaraderie? Et d’ailleurs, comme le faisait remarquer Pierre Dac: «Celui qui, dans la vie, est parti de zéro pour n’arriver à rien, n’a de merci à dire à personne.»

Voilà qui devrait consoler nos héros (à prononcer comme Adolf Ogy).

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