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† Claude Reymond

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1906 14 janvier 2011
Maître Claude Reymond est décédé à Lausanne ce 2 janvier à l’âge de 87 ans. Une plume plus autorisée que la mienne lui a rendu un bel hommage, débutant ainsi: «Un grand Vaudois, à l’esprit universel, vient de nous quitter.» 1

Il est vrai: intelligence supérieure, au jugement pénétrant, dont l’acuité était souvent enrobée de l’humour le plus fin, Claude Reymond a tout au long de sa carrière d’avocat d’affaires, de professeur, d’arbitre de réputation mondiale, suscité l’admiration et le respect, voire parfois une crainte légitime lorsqu’il sortait de son carquois une flèche manquant rarement son but.

Pour le soussigné qui a eu le privilège, au sens non pas conventionnel mais fort du terme, d’être son associé pendant quarante-trois ans (fidèlement et sans conflit), l’universalité de sa culture posait un problème demeuré insoluble: comment était-il possible, pour une seule et même personne, d’avoir lu, vu, écouté, retenu et médité tant de livres, d’œuvres d’art, de musique, en plus de charges professionnelles énormes et de celles d’un père de famille? Il y a ainsi de rares élus dont la puissance intellectuelle est multipliée par une mémoire fabuleuse et pour lesquels chaque journée devrait, selon nos critères communs, compter une centaine d’heures au moins.

Dans sa contribution aux Mélanges Marcel Regamey (CRV 102, 1980) intitulée «Souvenir et Mythe personnel dans l’oeuvre de Catherine Colomb», Claude Reymond écrit (p. 216): «Catherine Colomb avait une mémoire étonnante des gens et des choses. Trente ans plus tard, elle reconnaissait dans la rue un voisin ou un fournisseur oublié.» Il nous parle ensuite de sa grand-mère (donc son arrière grand-mère à lui) «qui l’avait élevée et qui devait avoir le même type de mémoire». Heureuse hérédité…

Et quel délice que sa conversation: ses propos étaient souvent émaillés de citations parfaitement adéquates.

Grand admirateur de Valéry, il aima citer la formule que celui-ci mettait dans la bouche de Monsieur Teste: «la bêtise n’est pas mon fort.» Chaque interlocuteur lui reconnaissait in petto le droit de se l’attribuer.

Outre un souvenir lumineux de sa personne, Claude Reymond nous laisse, à défaut de gros volumes ou traités, plusieurs articles percutants dans le domaine historique et en particulier celui de l’histoire vaudoise, dont il était grand connaisseur.

Il n’y a pas si longtemps, dans une de ses lettres à la rédaction de la Nation, il avait rappelé que le Canton de Vaud devait la sauvegarde de son indépendance contre les prétentions bernoises successivement à napoléon Ier en 1803 et à son grand adversaire le tzar Alexandre Ier en 1815; et il suggérait qu’en conséquence la Place du Flon, devenue le centre névralgique de la capitale, soit baptisée Place des deux Empereurs.

Rappelons aussi qu’il avait trouvé une nouvelle devise pour le parti radical: «Pacta sunt servanda si qua fata sinant.»

Patriote vaudois, il l’était, et à bien des égards proche de nous. Lecteur assidu de la Nation, mais avec un œil critique auquel les fautes n’échappaient pas (ah! s’il avait pu succéder à son beau-père M. Cuenod comme correcteur, que d’erreurs auraient été évitées, parfois douloureuses pour les rédacteurs!), il s’est néanmoins toujours tenu sur la réserve que se devait, envers notre mouvement, un ancien député libéral imprégné de Benjamin Constant. Il n’en tenait pas moins Marcel Regamey en très haute estime, laquelle était réciproque: ce dernier avait fait auprès de lui, mais sans succès, de pressantes démarches pour qu’il accepte de se porter candidat au bâtonnat comme tout le barreau l’espérait.

S’agissant des dix années passées au Grand Conseil, dire qu’il était «écouté» n’est pas une formule creuse: le chancelier d’alors me disait que si, selon la tradition parlementaire, les interventions bonnes ou médiocres de chaque député émergeaient plus ou moins du fond sonore des conversations particulières des chers collègues de tous bords (très brièvement atténuées par la clochette présidentielle), dès que Claude Reymond se levait pour prendre la parole, il se faisait un silence impressionnant, à entendre voler les mouches.

Bertil Galland avait su le convaincre d’accepter la présidence du comité de rédaction des volumes 6 et 7 de l’Encyclopédie Vaudoise consacrés aux Arts (comme on le sait, au sens très large puisqu’englobant la littérature, le théâtre, la musique, bref tous les arts jusqu’au septième). Tâche énorme, mais le résultat porte sa marque. A Yves Gerhard, il avait dit qu’aucune de ses nombreuses autres activités ne lui avait donné autant de plaisir. La Nation conservera le souvenir d’un ami proche.


NOTES:

1 Maître Olivier Freymond, ancien bâtonnier et associé, 24 heures et Le Temps du 6 janvier.

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