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Schwyzerdütsch, encore

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1909 25 février 2011
Le conseiller national vert genevois Antonio Hodgers, très actif et médiatique, se profile souvent par des prises de position concrètes, modérées et non idéologiques sur les problèmes politiques du jour.

A propos du sujet inépuisable que constitue la pratique et l’extension du suisse allemand, à ses yeux un vrai problème, il a déposé trois initiatives parlementaires visant à freiner l’usage du dialecte. Sans surprise, toutes ont échoué le mardi 11 janvier devant la commission du Conseil national.

Interrogé à ce sujet par Yelmarc Roulet (Le Temps du 14 janvier), Antonio Hodgers se déclare «tout de même satisfait, car il y a eu une certaine prise de conscience. Mes solutions n’ont pas convaincu, mais personne ne m’a contredit sur le fait que la progression incontestée du dialecte puisse mettre a mal la cohésion du pays».

Nous ne connaissons pas la teneur exacte de ces initiatives, que l’on peut certainement trouver sans peine sur internet. L’une d’elles visait sans doute à renforcer l’exigence imposée aux autorités fédérales de s’exprimer dans une des langues dites nationales dans leurs activités officielles et en particulier leurs discours, comme déjà prescrit par la loi. Or Doris Leuthard, comme présidente de la Confédération, avait prononcé en suisse-allemand son discours du 1er août à Zurich. Bon prince, A. Hodgers aurait admis qu’elle s’exprime en schwyzerdütsch «à la campagne», mais dans la métropole: inadmissible et illégal. Sur une vingtaine de membres de la commission, personne ne s’en est apparemment formalisé et cette initiative n’a recueilli que deux voix. (On ignore si, dans le banquet ou le buffet économique qui a suivi en l’honneur de la présidente, la viande autrichienne était arrosée de crème danoise et suivie de fromage allemand.)

Dans une autre initiative, fondée sur la constatation qu’en trente ans la part du dialecte à la radio et TV alémaniques avait passé de presque rien à 56 %, A. Hodgers proposait «que le dialecte soit utilisé pour le divertissement et le sport, l’allemand pour l’information et le débat, avec des exceptions comme l’émission Arena, où il y a beaucoup d’affect». Ces chiffres ont paru surprendre certains commissaires et l’initiant a obtenu le score très honorable de 9 voix contre 14.

Antonio Hodgers était sans illusion et bien entendu un peu provocateur, pour lancer le débat. Il constate que «beaucoup d’Alémaniques sont dans la négation de la place prise par le dialecte. Comme s’il était toujours réservé à la sphère privée, alors qu’il est devenu la langue du pouvoir et de l’éducation».

Bien sûr et maints francophones en font l’expérience quasi quotidienne: l’inflation, l’extension du schwyyzerdütsch est manifeste. Elle s’explique, en partie au moins, par un réflexe identitaire face à l’immigration (les Zurichois disent plutôt l’invasion) des Allemands. Récemment, je ne sais plus quel personnage important de Zurich ou d’ailleurs déclarait que, contrairement à ce que prétend la Constitution fédérale, l’allemand n’est pas une langue nationale mais étrangère, qu’il est pénible de devoir apprendre à l’école (raison pour laquelle certains en préconisent l’apprentissage obligatoire dès l’école enfantine) et que c’est le suisse allemand qui est la vraie langue des Alémaniques – en tout cas pour le parler. Provisoirement, nos Confédérés parlent (dans le privé mais avec débordement progressif sur le public) une autre langue. Et Donnerwetter, vous ne voudriez pas qu’un Welche, pire: un Genevois, vienne ici à Berne nous faire la leçon en nous disant comment on doit parler! Et si un Romand, désireux de nous montrer l’hypothétique maîtrise qu’il a acquise, en sept ou huit ans de souffrance sur les bancs d’école couronnés par un séjour à Berlin, de cette langue qu’on dit avoir été celle de Goethe (c’est encore à voir), nous lui répondrons volontiers dans cette même langue, Hochdeutsch ou Basicdeutsch. Mais au bout de deux minutes, il avouera ne plus nous comprendre. C’est que, vraiment sans nous en rendre compte, nous avons dévié vers le schwyzerdütsch.

L’autre jour, au mercredi de la Ligue vaudoise, le conseiller aux Etats Luc Recordon, collègue vert de M. Hodgers au national, est venu nous parler de ses expériences, précédemment au national, puis aux Etats, de minoritaire francophone. Il a insisté sur la nécessité, pour les Romands voulant faire une carrière politique ou administrative à Berne, avant tout de bien maîtriser notre langue pour en user correctement par écrit et oralement. On dira que cela va de soi, mais, hé hé! Suivez mon regard. Et attention à la contamination du français fédéral.

Il a ensuite plaidé fermement pour l’usage exclusif du français, par tous les élus francophones de l’une et l’autre Chambres, non seulement en plénum mais dans toutes les séances de commissions, même s’ils sont bi- ou trilingues, même s’ils constatent avec dépit qu’ils ne sont pas écoutés par la (très petite) minorité des conseillers qui ne savent ni ne comprennent un mot de français ou ne le sont que poliment par la majorité des collègues qui le comprennent approximativement. Le problème est peut-être résolu dans les plénums par la traduction simultanée, exercice terriblement difficile où même les virtuoses qui parviennent à deviner avec une ou deux secondes d’avance quel sera le verbe qui terminera au passé composé la phrase de l’orateur germanique, n’évitent pas toujours les erreurs ou contresens. Pour donner du poids aux délégations romandes, il faudrait que la traduction simultanée soit introduite également dans les séances des commissions. Mais cela signifierait qu’il faudrait trouver suffisamment d’interprètes, ce qui est peu probable, et que les crédits soient votés, ce qui l’est encore moins.

On comprend dès lors à quel point il est tentant, pour un jeune loup activiste et remuant comme le socialiste Roger Nordmann, apparemment trilingue, de recourir par moments à l’allemand voire au suisse allemand dans des séances de commissions, par désir d’efficacité et pour être vraiment entendu. Qu’importe: Me Luc Recordon ne peut pas l’admettre. C’est le doigt dans l’engrenage.

On ne peut évidemment pas exhorter les italophones à faire de même et à n’intervenir que dans leur langue, ce qui signifie, en l’absence de traduction simultanée, parler dans le désert. C’est leur problème.

Les pavés que M. Hodgers se plaît à jeter dans la mare alémanique sont peutêtre amusants, mais ne sont pas sans danger pour le fédéralisme, en particulier pour la défense de la souveraineté cantonale en matière scolaire, déjà sournoisement investie par les centralisateurs, ainsi que pour le respect du principe de la territorialité des langues. Ici, nous ne prêchons pas seulement pour notre paroisse: nous n’avons pas à nous mêler des options prises par nos Confédérés dans ce domaine et il serait catastrophique de donner aux autorités fédérales, sous prétexte que le Conseil fédéral est l’autorité de délivrance des concessions, la compétence de fixer également la proportion de schwyerdütsch admissible à la radio et à la télévision. Moins encore d’imposer à tous les cantons, par voie législative ou d’ordonnance (sous prétexte bien entendu d’une compétence constitutionnelle implicite), l’ordre d’apprentissage d’une deuxième ou troisième langue dite nationale, respectivement d’une langue étrangère, devinez laquelle (non, pas encore le chinois). Il y a déjà HarmoS, c’est plus qu’assez.

En revanche, oui: continuer à se battre pour que tout ce que nous envoie la Berne fédérale, jusqu’à la moindre circulaire, soit toujours en français et renvoyer toujours à l’expéditeur, avec la plus vive indignation, tout ce qui est en allemand. Quant au suisse allemand à l’école enfantine, c’est encore une «genferei».

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