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Eugène Grasset – L'art et l'ornement

Yves Guignard
La Nation n° 1915 20 mai 2011
Le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne fête les enfants de son Pays. Après Gleyre en 2007, Steinlen en 2008, le natif de Lausanne et grand rénovateur des arts décoratifs fin-de-siècle, Eugène Grasset (1845 – 1917) reçoit les honneurs d’une grande exposition au Palais de Rumine1. Mais que reste-t-il en fait de lausannois chez ce Parisien d’adoption dès 1870, designer, graphiste, affichiste, dessinateur, professeur de dessin d’art industriel et de composition décorative, naturalisé français et officier de la Légion d’honneur? Pas grand-chose… Rien en tout cas des cours qu’il aurait pris chez son compatriote François Bocion. En témoigne la dernière salle de l’exposition consacrée aux paysages lacustres vaudois; cette dernière salle est sans doute la plus triste de l’exposition, ses pastels sont sinistres et presque sales, tout particulièrement pour le visiteur ayant à l’esprit les enchanteurs et lumineux coins de pays auxquels nous a accoutumés Bocion, justement. Alors, quoi? Il fallait bien commencer par cette drôle de fausse note finale puisque du reste nous n’allons dire que du bien.

Grasset est un génie universel qui connut en son temps un succès considérable et dont la renommée fut internationale, c’est justice! Ce qui l’est moins, c’est qu’on l’a beaucoup oublié aujourd’hui. Sans doute parce que notre monde est un monde de spécialistes, les domaines d’expertises sont cloisonnés et rares sont les artistes d’aujourd’hui qui se risqueraient à travailler pour l’industrie, au risque de se corrompre: l’art doit être inutile, parce que c’est bien plus beau, etc. Et Grasset – peut-être est-ce son humilité protestante – n’a pour sa part jamais joué la carte des pièces uniques, des épreuves d’artiste, des pièces pour collectionneurs; il avait la certitude que la forme, le dessin, l’emportait sur tout, peu importait ensuite les moyens qu’on emploierait pour le reproduire à l’échelle industrielle. En tant qu’artiste, en somme, il ne s’est pas soucié de son monument futur. Alors d’où vient ce succès qu’il a connu jadis?

La fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième siècle ont vu le bourgeonnement, l’éclosion et la consécration des arts mineurs, mobiliers, affiches, décoration, bijoux et mode. Au fond, il était question d’une époque bénie où les artistes de l’inutile marchaient main dans la main avec les artistes de l’utile, où parfois les rôles s’échangeaient, où ces différentes scènes artistiques, en ébullition, s’alimentaient les unes les autres. L’un des meilleurs exemples d’une scène artistique où ces collaborations ont fonctionné pour le meilleur nous a été rappelé par la belle exposition de la Fondation Beyeler de l’automne dernier: «Vienne 1900». On y découvrait les Wiener Werkstätte, la Sécession viennoise, sa revue VER SACRUM. Et cela ne vous étonnera pas: Grasset était collaborateur de cette dernière revue, il expose à Vienne à la première exposition de groupe de la Sécession en 1898 et il récidive à plusieurs reprises. Il n’y a pas de fumée sans feu.

L’immense mérite de l’exposition – car elle explore judicieusement tous les moyens par lesquels l’artiste s’est exprimé, du design de bijoux à celui des meubles, des vitraux aux affiches, des publicités pour catalogues commerciaux aux allégories décoratives, etc. – est de nous plonger dans cette époque de tous les possibles et des parcours transversaux, dans cette époque où l’industriel avait besoin de l’artiste car il n’avait ni Photoshop, ni imprimante couleur. C’est un authentique voyage dans le temps qui nous est proposé ici, et ce avec brio. Il n’en faut faire l’économie pour rien au monde.

A la manière de Michel Butor, mais succinctement, pour conclure, quelques fragments descriptifs:

  • Les croquis de paons, tordus dans tous les sens pour en faire un emblème, un logo.
  • Les boucles de ceintures, la finesse et l’ironie.
  • Chilpéric en céramique, une netteté tonitruante qui ne dépareillerait pas à un congrès de mangas.
  • Le Pont de Sully, un soir de janvier. Case de bande dessinée on ne peut plus contemporaine, coucher de soleil cuivré, combien de meurtres ce soir-là dans Paris?
  • Jeanne d’Arc sur son bûcher, projet pour un vitrail. Les flammes de ce dernier gagnent les autres fenêtres.
  • Les mois du calendrier, le charme irrésistible des bourgeoises au jardin.


1 «Eugène Grasset, L’art et l’ornement», Musée cantonal des Beaux-Arts, Palais de Rumine, Lausanne, jusqu’au 13 juin. Ma et me de 11h à 18h, je de 11h à 20h, ve à di de 11h à 17h.

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