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Lettre aux parents de mes élèves

Pierre-Gabriel Bieri
La Nation n° 1915 20 mai 2011
En 1988, les Cahiers de la Renaissance vaudoise avaient connu un beau succès en publiant Les linguistes sont-ils un groupe permutable. On peut avoir bon espoir de récidiver aujourd’hui avec Lettre aux parents de mes élèves. L’ouvrage est du même auteur, Jean-Blaise Rochat, maître secondaire depuis plus de trente ans dans l’Ouest lausannois, connu des lecteurs de La Nation puisqu’il en est le rédacteur en chef.

Dans La Nation, précisément, l’auteur publie depuis des années ses Juvenilia, courtes anecdotes tirées des heures qu’il passe avec ses élèves. L’idée était donc d’en réunir les meilleurs, de publier un best of, comme disent les jeunes qui fréquentent le collège de la Planta ou de Bussigny. Mais il fallait encore une préface, un texte expliquant le pourquoi et le comment de ces délicieux billets, et les replaçant dans le contexte du combat de la Ligue vaudoise contre la déliquescence scolaire du Canton. C’est ainsi qu’est née la Lettre aux parents de mes élèves.

Le titre, sur la couverture, a été tracé de la main de l’auteur, avec un monumental «L» à l’ancienne. C’est la première chose qui séduit, avant même qu’on ouvre le livre. Dans sa lettre, Jean-Blaise Rochat n’accorde finalement que peu de place aux explications et aux mises en perspective que l’on aurait pu attendre: il n’est pas homme de théories; ce qu’il aime, c’est parler de ses élèves – à qui il voue une affection manifeste que l’on devine réciproque. Au fil des mots et des phrases, il se laisse gagner par le style de ses Juvenilia, mais en se libérant du nécessaire confinement de ces derniers: il prend le temps de raconter, d’évoquer des souvenirs, de nous parler d’anciens cas difficiles qui ont fini par se ranger, ou au contraire des défauts et des peines de quelques premiers de classe. Il laisse courir sa plume entre l’école vaudoise d’aujourd’hui et l’histoire de la littérature et de la musique, qui fournit elle aussi tant de leçons. Et de récits en digressions, on retombe toujours sur les thèmes essentiels: la relation entre le maître et ses élèves, celle entre le maître et les parents, la distinction entre enseignement et éducation, l’invasion nuisible des théories pédagogiques modernes, le besoin d’autorité et de hiérarchie, l’absurdité de vouloir pousser un maximum d’élèves dans des formations académiques. Voilà pour le lien avec l’actualité: le texte ne parle pas de l’initiative «Ecole 2010», mais, malgré le ton imperturbablement heureux et optimiste, chaque page suggère à quel point il importe de voter en sa faveur.

Après cela, on se plonge avec d’autant plus de plaisir dans la (re-)lecture des soixante-huit Juvenilia sélectionnés pour constituer la seconde partie du livre. On y retrouve les sujets sérieux – familiaux, religieux – qui surgissent au détour de phrases anodines, les répliques impayables de certains élèves (celui qui traite un camarade de bouffon parce qu’«il n’arrête pas de bouffer!», ou le jeune amateur de rap séduit par Schoenberg), le tout entrecoupé de descriptions hautes en couleurs («Sélim, au fond de la classe, le dos en banane contre le dossier de sa chaise, l’œil torve masqué par une paupière mi-close», Robert, qui «traîne dans les couloirs du collège sa silhouette de lama exténué», Stéphane, qui «se plaît en compagnie de malabars mous à cervelle de tête d’épingle», ou encore la caissière à la «mine de gallinacé outragé»). Chacun de ces textes donne à la fois un sujet de réflexion et un motif de sourire. On ne boude pas son plaisir.

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