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Un Vaudois célèbre mais controversé

Ernest Jomini
La Nation n° 1917 17 juin 2011
Désirant vérifier quelques données historiques sur la République helvétique nous avons consulté récemment le premier livre qui nous tombait sous la main: Histoire de la Suisse racontée au peuple (1900). Son auteur: A. Gobat, radical jurassien et membre du gouvernement bernois. Or, dans cet ouvrage, l’auteur à plusieurs reprises parle de «l’infâme La Harpe». Soixante ans après sa mort, Frédéric-César de La Harpe soulevait donc encore les passions.

En tout cas, La Harpe continue à susciter l’intérêt des historiens. Preuve en soit le volume récemment paru dans la collection de la «Bibliothèque historique vaudoise» (BHV n°134) intitulé: Frédéric-César de La Harpe (1754- 1838), fruit du colloque tenu les 30 et 31 octobre 2009 à l’UNIL sous la direction du professeur Olivier Meuwly, colloque auquel nous avions déjà consacré quelques lignes dans La Nation (n° 1875 du 6 novembre 2009). Vingt-trois historiens vaudois, romands, mais aussi français, russes et finlandais ont apporté leur contribution. Impossible dans le cadre de cet article d’entrer dans le détail des ces études historiques, toutes intéressantes et qui font découvrir tel ou tel aspect de la biographie, de la personnalité ou de l’action politique de notre illustre compatriote. Bornons-nous à mentionner les quatre parties de cet ouvrage qui nous donnent une série d’éclairages sur la personne, l’action et aussi l’environnement politique du célèbre Vaudois.

La Harpe, la Russie, la Finlande

On y trouvera l’exposé des circonstances qui ont conduit le Vaudois à devenir le précepteur du futur tsar Alexandre Ier. on y traite aussi des liens entre La Harpe et la Russie, indirectement aussi de la Finlande. On voit comment les années passées à St-Pétersbourg et la prise de conscience des problèmes politiques et sociaux de la Russie ont marqué la pensée du Vaudois. Mais c’est surtout l’influence que notre compatriote exerça sur son auguste élève qui est digne d’intérêt. «Tout ce que je sais, tout ce que, peut-être, je vaux, c’est à M. de La Harpe que je le dois» dira le tsar au roi de Prusse en 1814.

La Harpe homme des Lumières

On pénètre dans la pensée historique, politique et philosophique du précepteur grâce à une étude des notes marginales tracées par lui sur des ouvrages de Rousseau, Montesquieu, Platon et Thucydide. On voit aussi comment ce personnage du XVIIIe siècle, à l’instar des révolutionnaires de 1789, interprétait de travers l’histoire romaine. Homme des Lumières, La Harpe l’est aussi par son attrait pour les sciences naturelles – il est à l’origine de notre Musée cantonal de minéralogie – et son souci, en Russie comme en Suisse, de développer l’instruction publique.

La Harpe homme politique

On reconnaît le rôle qu’il a joué pour obtenir l’indépendance vaudoise en 1798 et l’importance de son influence auprès du tsar afin d’éviter en 1815 le retour de notre Canton à l’obédience bernoise. Mais qu’il nous paraît déconcertant sur le plan politique! Comment peut-on être partisan de la liberté du Pays de Vaud et se proclamer, comme il le fit jusqu’à la fin de sa vie, anti-fédéraliste et partisan sans réserve de la République helvétique qui avait réduit à rien la souveraineté vaudoise? Résident à Paris pendant que Bonaparte et les délégués suisses élaboraient l’Acte de Médiation de 1803 qui fit à nouveau de la Suisse une confédération, La Harpe n’y prit aucune part et ne cessa de condamner ce retour au régime politique de l’ancienne Suisse qu’il avait en horreur.

En vrai libéral des Lumières, La Harpe était surtout attaché à la proclamation des libertés individuelles affirmées dans une constitution. Il n’admettait pas les privilèges des patriciens bernois. C’est cette hégémonie patricienne que l’indépendance vaudoise devait détruire. Et son action pour empêcher le retour du Pays de Vaud à la tutelle de Berne visait essentiellement à empêcher le retour d’un régime politique qui lui faisait horreur. Mais le sort de la communauté vaudoise séculaire, son indépendance politique nécessairement liée à l’exercice de la souveraineté, ne paraît pas l’avoir intéressé. Dans cette logique, peu lui importait que l’ancien Pays de Vaud soit devenu une simple circonscription administrative d’un Etat suisse unifié. La Harpe ne craignait pas de se proclamer franchement centralisateur. Cette franchise valait peut-être mieux que les innombrables discours des politiciens d’aujourd’hui qui commencent toujours par: «Je suis fédéraliste, mais…» et qui rognent sans cesse ce qui reste de la souveraineté cantonale.

Nous ne résisterons pas au plaisir de citer cette déclaration tirée d’une lettre envoyée au tsar: «Je ne suis point démocrate. Personne ne hait plus que moi la démocratie; et c’est parce que je la regarde comme incompatible avec mes principes sur la justice et la liberté, c’est parce que je l’ai observée de près, que j’en déteste les maximes» (p.155). En fait, pour lui, seule l’élite, c’est-à-dire ceux qui sont éclairés par la religion des Lumières, sont dignes de se consacrer au gouvernement des peuples.

La Harpe entre amis et ennemis

Des amis il en eut, bien sûr: Henri Monod, Charles Monnard, entre autres. Nous ne voulons pas manquer de signaler aussi la contribution historique qui s’attache aux relations étroites avec son cousin Amédée de La Harpe, brillant général de brigade de l’armée française qui combattait en Italie, mort prématurément dans une escarmouche en mai 1796. S’appuyant habilement sur le prestige de ce cousin, La Harpe, résidant alors à Paris, parvint à s’insinuer dans les bonnes grâces du Directoire et de Bonaparte pour inciter la France à faire pénétrer ses troupes en Suisse afin de libérer le Pays de Vaud. Mais c’était introduire la guerre européenne sur le territoire de la Confédération. De fait, le gouvernement français n’était pas fâché de se servir de La Harpe pour réaliser sa politique.

Un mot sur ses ennemis: un tel personnage ne pouvait manquer de susciter beaucoup d’inimités, particulièrement chez tous les théoriciens de la contrerévolution (J. de Maistre, C. L. von Haller) et même, pour des raisons moins doctrinales mais plus personnelles, chez son compatriote vaudois le général Jomini. Tout au long du XIXe siècle – et ça continuera au XXe –, La Harpe sera l’objet du jugement contradictoire des historiens.

«L’infâme» ou le vertueux et génial La Harpe? Plongez-vous dans la lecture du bouquin qui vient de paraître. Vous ne le regretterez pas.

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