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Le Vaudois existe-t-il?

Jacques Perrin
La Nation n° 1966 3 mai 2013

Dans un article récent, l’usage du mot «identité» pour parler du peuple vaudois nous a embarrassés. Qu’en est-il au juste? Cette affaire n’est pas parfaitement rationnelle. La question de l’identité renvoie à celle, encore plus obscure, de nos origines.

Pour identifier un être quelconque, il suffit de lui associer un nom: un nom propre à une personne, accompagné d’une description pour déjouer une éventuelle homonymie («Jacques Perrin, enseignant à Aubonne»), un nom commun à une chose, avec un déterminant («cette table-ci, que je vous montre et que nous ne confondons avec aucune autre»).

L’identité d’une personne est fournie par ses papiers, son ADN, son empreinte digitale, sa signature.

L’identité d’une collectivité n’est pas si aisée à décrire, parce qu’on trouvera toujours un individu dépourvu de quelques-uns des traits distinctifs censés la définir.

Nous croyons savoir qu’un Vaudois n’est pas un Valaisan, mais en quoi se distinguent-ils? En quoi un Vaudois est-il «vraiment lui-même»? Il faudrait dresser une liste de caractéristiques qui, cumulées, font que les Vaudois sont reconnaissables parmi les représentants de tous les autres peuples. Les difficultés commencent.

Le Vaudois est de race blanche, mais nous connaissons des enfants adoptés ou des immigrés colorés, naturalisés il y a peu, qui font des Vaudois tout à fait acceptables. Le Vaudois parle le français avec un accent bien à lui, mais Marcel Regamey n’avait pas l’accent vaudois. Il existe des patronymes spécifiquement vaudois, mais sont-ils portés par beaucoup d’autochtones? Le soussigné, originaire d’Ependes, issu d’une famille vaudoise depuis la nuit des temps, pourvu d’un huitième de sang bernois, porte un nom de famille répandu dans toute la francophonie… Et on se demande à partir de combien de générations un Vaudois peut être considéré «de souche»… Le Vaudois n’est pas forcément chrétien, il n’aime pas obligatoirement le chasselas, il n’a pas tous les traits de caractère qu’on attribue à ses congénères (Marcel Regamey, encore lui, était d’un tempérament fort peu vaudois…). Les Vaudois illustrent-ils chacun à leur manière un type physique? Quand on voit à la TV les Irlandais du monde entier fêter la Saint-Patrick, on saisit au premier coup d’œil ce qu’est un type ethnique. Quant aux Vaudois, on a beau convoquer nos peintres et nos photographes, on ne découvre rien de bien saillant…

En somme, nous nous heurtons à un mur en essayant de définir l’identité vaudoise. Et pourtant nous savons par toutes nos fibres que les Vaudois existent, qu’il y a une souche vaudoise. Juste Olivier, Ramuz et Chessex les ont révélés à eux-mêmes. Dans une cave, un café, une ferme, une vigne, dans un cours de répétition du bataillon de carabiniers 1, dans une ruelle de Vevey lors de la Fête des Vignerons, l’évidence éclate: nous existons, nous nous reconnaissons. Ce terreau et ce paysage uniques ont engendré des gens singuliers. Certains de nos lecteurs et nous-mêmes, nous nous sommes soudain sentis vaudois en nous confrontant à des représentants d’autres petits peuples confédérés, alors que nous faisions notre service militaire ou participions à quelque congrès helvétique.

Cette évidence ne dissipe cependant pas tout à fait nos doutes. Il arrive aux Vaudois de souche ce qui est arrivé aux Genevois de souche. Ils se reproduisent chichement et sont minoritaires sur leur sol. En outre, comme tous les peuples du monde, ils subissent les exigences de la postmodernité, laquelle refuse profondément l’identité, à l’exemple de ses éléments de pointe, les antiracistes fous de métissage et les «lesbiennes-gay-bitrans».

Si on retranche de la population vaudoise toutes les vagues successives de Confédérés installés en Pays de Vaud (Bernois à Aubonne, Fribourgeois à Saint-Prex, par exemple), les familles immigrées, les requérants d’asile, les expatriés, les nomades, les adoptés, qui reste-t-il? Le Conseil d’État actuel est composé de sept personnes aux origines bigarrées: espagnole, française, grecque, anglaise, fribourgeoise, neuchâteloise, zuricoise… Nous ne doutons pas qu’elles soient attachées à leur terre d’adoption et qu’elles en défendent les intérêts. Du moins nous voulons le croire. Des difficultés politiques que nous ne souhaitons pas révéleront peut-être chez certaines quelque patriotisme insoupçonné…

Ces constats nous incitent à penser que notre appartenance consiste aussi à nous vouloir Vaudois, à faire allégeance à un pays qui s’obstine à figurer sur la carte du monde. L’enracinement dans un terroir n’a pas suffi. Il a toujours fallu des personnalités éminentes pour rappeler aux Vaudois qu’ils existent, une volonté politique (à commencer par celle de Pierre de Savoie) pour instituer la patrie vaudoise, des énergies pour conserver les institutions, voire les faire renaître, de Davel à Marcel Regamey, en passant par les Pidou, Muret et Monod.

C’est par la souveraineté politique, d’abord dynastique, puis populaire, que des personnes diverses tiennent ensemble sur un territoire où elles peuvent dire, elles aussi, «on est chez nous!».

Aujourd’hui, même si la souche vaudoise s’est un peu desséchée, le terreau historique subsiste. La Ligue vaudoise, qui s’y nourrit, incarne et manifeste, avec d’autres, la volonté politique de durer.

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