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D’une urgence à l’autre- Mesures urgentes sur l’asile

Pierre-François Vulliemin
La Nation n° 1966 3 mai 2013

Le 28 septembre 2012, conformément à l’article 166 de la Constitution fédérale relatif à la législation d’urgence, le Parlement fédéral a révisé partiellement la loi fédérale sur l’asile. Du fait de leur urgence supposée, ces modifications sont entrées en vigueur le 29 septembre 2012 déjà. Or, en janvier 2013, un référendum soutenu principalement par les partis de gauche a abouti. Nous voterons donc le 9 juin pour entériner ou rejeter les mesures en cause. En cas d’acceptation de la révision, ces mesures seront inscrites dans le droit ordinaire au plus tard le 28 septembre 2015. En cas de refus de la révision, elles cesseront de s’appliquer dès le 29 septembre 2013.

Ces mesures peuvent être réparties dans sept catégories1:

• accélérer et centraliser les procédures d’examen des demandes d’asile;

• créer des centres spéciaux pour les requérants d’asile récalcitrants et réduire leur liberté de mouvement à l’extérieur de ces centres ainsi que les prestations qu’ils reçoivent;

• centraliser la recherche des centres d’hébergement fédéraux et des centres spéciaux pour les requérants récalcitrants, ce qui signifie notamment que les constructions de la Confédération pourront désormais être utilisées sans autorisation cantonale ou communale pendant trois ans au plus2;

• soutenir financièrement des programmes d’occupation, notamment en proposant aux requérants hébergés dans les centres fédéraux un engagement au profit de la collectivité;

• supprimer la possibilité de déposer une demande d’asile auprès des ambassades;

• ne plus considérer l’objection de conscience et la désertion comme constituant à elles seules, des motifs d’asile3;

• raccourcir les délais de recours pour les requérants de 30 à 10 jours4.

 

Arguments pour5

Les procédures d’asile seraient trop longues et aboutiraient à un faible taux de reconnaissance (de 11 à 23% «ces dernières années»), sans empêcher une constante augmentation de la criminalité «dans le domaine» (augmentation de 39% en 2012). La centralisation des procédures d’asile permettrait de combattre efficacement ces problèmes, puisqu’il ne serait dès lors plus nécessaire de commencer par attribuer les requérants d’asile aux cantons et que les enquêtes seraient confiées à des spécialistes fédéraux. La centralisation de la recherche des centres d’hébergement fédéraux et des centres spéciaux pour les requérants récalcitrants, telle qu’expliquée plus haut, serait aussi une solution partielle à ces problèmes.

Les mesures urgentes permettraient aussi d’augmenter la sécurité aux alentours et à l’intérieur des centres de requérants. En effet, l’octroi aux cantons d’un «forfait de sécurité» leur permettrait d’accroître l’action policière aux alentours des centres pour requérants. De plus, la mise en place des programmes d’occupation évoqués plus hauts améliorerait le bienêtre des requérant, et diminuerait d’autant les tensions au sein des centres. Enfin, l’ouverture des centre spécialisés pour requérants récalcitrants profiterait aux requérants respectueux des lois suisses et leur éviterait de cohabiter avec des voyous ou des criminels.

Finalement, les mesures d’urgence auraient cette conséquence principale que la pression migratoire sur la Suisse diminuerait, de par la perte d’attractivité consécutive à un «tour de vis» supplémentaire.  

 

Arguments des référendaires6

De par le monde, nombre de déserteurs revêtent le statut d’opposants politiques. Or nombre d’armées sont engagées dans des opérations «inhumaines» et la désertion est parfois sévèrement réprimée, notamment par la torture ou la mort. Par la suppression de la désertion comme motif d’asile, le Parlement fédéral s’attaquerait «non plus aux prétendus abus dans le domaine de l’asile, mais bien au noyau du droit des réfugiés, en cherchant à dissuader de vrais réfugiés à demander l’asile en Suisse»7.

La procédure d’asile depuis l’étranger éviterait que des requérants immigrent illégalement, en recourant parfois, pour accéder à l’Europe, à des procédés aussi dangereux que les boats people. De plus, en cas de refus de leur requête, le fait que les requérants ne se trouvent pas sur sol suisse éviterait des renvois problématiques à plus d’un titre.

Par l’instauration de centres spécifiques pour requérants d’asile «récalcitrants», «la loi sur l’asile, qui devrait être destinée à la protection de réfugiés, [serait] détournée de son but pour gérer l’immigration, en contournant les contraintes du droit pénal. 1) Qu’est-ce qu’un comportement qui porte sensiblement atteinte au fonctionnement d’un centre? – un demandeur d’asile qui rentre avec une canette de bière dans un dortoir? 2) Qui décide du transfert vers un centre spécifique? – un employé de la firme ORS? Un agent de sécurité? 3) La décision ne sera sans doute ni écrite, ni contestable»8.

Enfin, le «maintien des délais de recours à 30 jours [serait] une condition sine qua non de toute réorganisation: parce que gagner 20 jours sur des procédures qui en durent 300 n’a aucun sens, parce que même le meilleur avocat du monde ne [pourrait] faire recours dans le domaine de l’asile en 10 jours, parce qu’il n’y [aurait] pas de raison de faire du droit d’asile un droit d’exception par rapport au reste du droit administratif. La possibilité de déroger à la loi en vigueur [poserait] aussi problème.»9

Ces arguments, à part le dernier, ne nous convainquent pas.

L’article qui précise que la désertion ne suffit pas pour obtenir l’asile réserve les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

A propos de l’impossibilité de déposer une demande d’asile auprès d’une ambassade, il importe de signaler que la possibilité persistera de déposer une demande de visa humanitaire auprès d’une ambassade suisse. Dans ces conditions, on ne peut pas ne pas légiférer dans le seul but d’éviter la tentation de l’immigration illégale. Ce serait comme d’interdire les bijouteries par crainte des voleurs. La volonté d’éviter les renvois nous semble plus présentable, mais ne suffit pas à nous faire rejeter les mesures urgentes.

Pour le surplus, la sélection des requérants envoyés en centre spécial pour requérants récalcitrants ne nous semble pas poser plus de problème que n’en posent les prérogatives de nos administrations pénitentiaires. Là encore, cela ne nous motive pas à rejeter les mesures d’urgence.

En ce qui concerne la réduction du délai de recours, en revanche, nous serions plutôt d’accord avec les référendaires. C’est le délai de traitement des recours qu’il faudrait raccourcir.

 

Notre position

La centralisation des procédures d’examen des demandes d’asile ainsi que des recherches des centres d’hébergements fédéraux et des centres spéciaux pour les récalcitrants est un nouveau coup de canif aux souverainetés cantonales. Le comité interpartis pour le maintien des mesures d’urgence répond que la Confédération ne créera pas de centre d’hébergement si l’opposition des autorités locales et de la population est unanime.

A la limite, les fédéralistes, sans aimer cela, pourraient accepter que, dans le cadre étroit d’une de ses attributions légitimes – la législation sur l’asile en est une – la Confédération centralise certaines activités et décisions. Mais il faudrait pour cela être certain de l’efficacité des mesures proposées.

Or, quels que soient leurs mérites et leurs défauts, ces mesures ne modifient pas l’esprit de notre politique de l’asile. L’administration fédérale continue à considérer que le droit à l’asile est un droit de l’homme et que certains requérants en sont titulaires en vertu de critères indépendants de la volonté des autorités suisses. D’où un raz-de-marée de demandes et de personnes en attente résidant chez nous.

Dès lors, pour limiter les dégâts, nous nous voyons contraints de multiplier les cautèles administratives, les restrictions mesquines, les tentatives de tout genre pour rendre la Suisse moins «attractive». Ces mesures urgentes en sont un nouveau paquet. Mais la Suisse la moins attractive possible l’est encore bien assez pour d’innombrables candidats potentiels à l’asile.

La Ligue vaudoise reste inébranlablement fidèle à la conception traditionnelle du droit d’asile – par opposition au droit à l’asile. Dans cette perspective, le droit d’asile est le droit d’un État souverain d’accueillir sur son sol qui bon lui semble.

Il choisit ceux qu’il accueille en fonction du bien commun dont il a la charge: le bien commun national. Il décide donc en fonction de sa politique étrangère à long terme, de son économie et de la capacité des autochtones à assimiler les nouveaux venus.

Sans ce retour à la réalité, complété par une dénonciation de la Convention de non-refoulement et la conclusion d’accords de réadmission, il n’y a aucun espoir de réguler l’immigration.

Les révisions successives n’ont fait que créer d’inutiles espoirs. Rappelons-nous la révision de la loi sur l’asile d’avril 1987, censée, après plusieurs moutures, nous permettre de maîtriser enfin l’immigration: «Trop mauvaise!»10 titrait La Nation. La maîtrise n’eut pas lieu et l’on en vint aux fameuses «mesures de contrainte», acceptées en 1994 dans un sentiment d’urgence absolue par une population mise en condition. La Nation les considéra comme de simples effets de muscles sans avenir: «Mesures de contrainte: du vent!»11. Cette position irrita beaucoup de monde parmi nos amis. Mais qui, aujourd’hui, va nier que c’était effectivement du vent? Nous ne croyons pas davantage à ces nouvelles mesures et nous ne voyons aucun intérêt à recommencer l’expérience. Le 9 juin 2013, nous voterons NON.

 

Notes:

1 Voir notamment le document «De quoi s’agit-il?», tiré du site internet, http://revisionloisurlasile- oui.ch/, site du Comité interpartis «Oui à une politique d’asile qui fonctionne».

2 Document «De quoi s’agit-il?».

3 Document «De quoi s’agit-il?». C’est nous qui soulignons.

4 «Argumentaire contre le projet et nos répliques», tiré du site internet, http://revisionloisurlasile- oui.ch/ et document «Mesures urgentes modifiant la Loi sur l’asile», par Marie-Claire Kunz et Aldo Brina, tiré du site Internet http://stopexclusion.ch.

5 Voir notamment le document «De quoi s’agit-il?».

6 Voir notamment le document «Mesures urgentes modifiant la Loi sur l’asile», par Marie-Claire Kunz et Aldo Brina, tiré du site internet http://stopexclusion.ch.

7 Document «Mesures urgentes modifiant la Loi sur l’asile».

8 Idem.

9 Idem.

10 La Nation n° 1284 du 14 mars 1987.

11 La Nation n° 1984 du 12 novembre 1994.

 

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