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Courts-circuits

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2036 22 janvier 2016

Le 28 novembre 2010, le peuple et les cantons votaient sur l’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels». Il s’agissait d’expulser pour une durée de cinq à quinze ans tout étranger qui aurait été condamné pour meurtre, viol ou autre délit sexuel grave, brigandage, traite d’êtres humains, trafic de drogue, effraction ou qui aurait perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale.

La pointe de l’initiative était le caractère automatique de la décision judiciaire d’expulsion. Cette automaticité avait pour but d’empêcher les juges laxistes de contourner ou d’avachir la loi.

L’initiative était accompagnée d’un contre-projet du parlement qui durcissait les dispositions existantes, mais refusait l’expulsion automatique. Il introduisait en outre un catalogue de mesures maternantes visant à intégrer les étrangers mais aussi les Suisses mal orientés, mesures pédantes, coûteuses, attentatoires tant aux compétences cantonales qu’aux libertés individuelles.

L’initiative acceptée et le contre-projet rejeté, le parlement se mit au travail… mais dans l’esprit du contre-projet. Son texte, récemment mis sous toit, propose une politique plus dure et augmente les motifs d’expulsion, mais prévoit tout de même une «clause de rigueur» permettant au juge de renoncer à titre exceptionnel à l’expulsion. La fonction de cette clause est notamment de répondre à l’exigence de proportionnalité.

L’UDC considère le traitement parlementaire de son initiative comme une façon sournoise de la vider de sa raison d’être, une trahison à l’égard de la volonté populaire. Bien avant la fin des débats des Chambres, elle a lancé une «initiative de mise en œuvre» pour faire pression. L’idée de manœuvre est d’inscrire dans la Constitution la liste exhaustive des infractions pénales appelant l’expulsion automatique. Une telle initiative est applicable directement, sans passer par l’étape parlementaire.

La pression n’eut pas le résultat espéré, mais l’initiative aboutit. Si elle est acceptée le 28 février prochain, la loi rédigée par le parlement se trouvera en contradiction avec elle.

En résumé, la première initiative court-circuitait les juges et la seconde court-circuite le parlement qui a refusé de court-circuiter les juges.

Au jugement humain, qu’ils considèrent par principe comme suspect d’incompétence ou de partialité, beaucoup – à droite comme à gauche – ont pris l’habitude de préférer la mécanique, censément plus rationnelle et égalitaire, du règlement et des tarifs standards. C’est une tendance qui ne touche pas que le droit pénal. En matière médicale, on tend à priver les patients du libre choix du médecin et les médecins du libre choix du traitement pour leur substituer des listes de médecins et de traitements imposés par les caisses. Il en va de même à l’école, où le maître est réduit au rôle d’un exécutant appliquant aveuglément des méthodes pédagogiques censément scientifiques et donc parfaites. C’est encore le cas avec Via sicura, une loi sur la sécurité routière concoctée par des technocrates sectaires pour des citoyens robots. L’automaticité de l’expulsion et la mise des juges sur la touche se situent dans la même perspective liberticide.

Nous croyons quant à nous que la liberté d’appréciation du juge fait partie intégrante d’une justice civilisée et que sa suppression est une régression du droit. On peut à la rigueur accepter une telle régression, pour un temps aussi limité que possible, lorsque le salut public est en jeu d’une façon grave et immédiate. Avec la délinquance étrangère, nous n’en sommes tout de même pas là.

A l’époque, La Nation avait recommandé le rejet de l’initiative, ainsi d’ailleurs que du contre-projet. Il est vrai que la pratique vaudoise nous semblait relativement satisfaisante.

Quant à l’initiative de mise en œuvre, le principe même en est discutable. Il y a quelque chose d’illogique à vouloir forcer le respect d’une norme constitutionnelle au moyen d’une autre norme constitutionnelle. Que ferons-nous si l’initiative est acceptée, comme on peut s’y attendre, mais que les autorités d’exécution traînent les pattes, de telle sorte que l’automaticité reste finalement lettre morte? Lancer une troisième initiative constitutionnelle qui enjoindrait directement à la police de procéder aux expulsions?

La loi renforcée telle qu’elle existe aujourd’hui – et qui prévoit la peine d’expulsion, certes non automatique, du territoire suisse –, permet de traiter correctement les problèmes posés par les délinquants étrangers. Le reste dépend de la conscience, du courage et de la volonté politique de ceux qui, du haut en bas de l’échelle, appliqueront la loi. Ce sont autant de vertus qui ne découlent pas de la Constitution. Tout bien considéré, nous voterons non.

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