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Le Miel de Slobodan Despot

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2042 15 avril 2016

Le bref roman de Slobodan Despot a déjà fait l’objet d’une recension lors de sa parution dans la collection blanche de Gallimard en 2014 (Eric Werner, La Nation no 1986). Depuis, le livre a fait son chemin, bien reçu par le public et la critique; quelques prix littéraires ont confirmé ce succès. Dernière consécration, il vient d’être intégré au catalogue Folio de Gallimard.

Le récit commence par deux pannes au bord d’une autoroute, quelque part dans une ex-Yougoslavie déchirée par la guerre, à la fin de l’été 1995. L’agonie conjointe d’un autocar hors d’âge et d’une limousine presque aussi vétuste, effondrée sous un chargement trop lourd, permet la rencontre improbable de Vera, une herboriste guérisseuse, et d’un homme colérique qui est sur le point de malmener son vieux père. L’intervention généreuse de Vera empêche l’affaire de tourner mal; et ce geste inattendu va sauver son cabinet de consultation…

A l’autre extrémité du roman, le narrateur échappe de justesse à la mort grâce à un coup de volant providentiel sur une autoroute de nuit, évitant un poids lourd immobilisé tous feux éteints en travers de la chaussée. «Chacun de nos gestes compte» est la sagesse qui se dessine au fil des pages.

A l’intérieur de ce cadre, un décor de sale guerre, attisée par des forces étrangères, avec ses haines inextinguibles, ses morts, ses déportations de populations civiles. L’action se joue entre trois personnages: la généreuse Vera, le vieux sage Nikola, apiculteur obstiné et taiseux, et son fils, Vesko, dit le Teigneux, énergumène atrabilaire dont «la peau de rhinocéros renfermait un cœur de lièvre.» Si ce livre était un film, ce pourrait être un excellent road movie déjanté, alternant suspense et humour, beaux paysages et décors crades.

Le miel joue un rôle prépondérant de lien entre les êtres: «Les pompistes, c’est comme les gendarmes et les douaniers. Ça a des femmes, des enfants et des rhumes.» Mais pas seulement: c’est aussi une matière sacrée, investie d’un pouvoir quasi rédempteur (dans les Psaumes et les Proverbes, la parole divine est souvent comparée au miel). Quant aux abeilles, elles permettent une dénonciation en creux de la société humaine: «Il y a davantage d’intelligence dans un essaim d’abeilles que dans n’importe quelle assemblée humaine.

» Le contexte historique (l’opération Tempête) ainsi que l’origine de l’auteur pouvaient faire redouter un roman à thèse. Il n’en est rien: c’est un pur roman, composé de personnages attachants dans leur vérité sans caricature, avec leurs qualités et leurs défauts, qui se débattent comme ils peuvent dans cette vallée de larmes. C’est ce qui lui confère une portée universelle, par delà les contingences historiques et géographiques.

Un mot encore sur le style vif et fluide, classique par son élégante concision: dès la première page, le lecteur est saisi par la description de l’autocar expirant: «L’éléphant métallique, attendri par la sueur des corps, humanisé par l’usure, finit par exhaler son âme dans un crissement sinistre, …»

Notes:

Slobodan Despot, Le Miel, Gallimard, collection Folio no 6029, 2014, 149 p 

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