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L‘impossible imposition individuelle

Olivier Klunge
La Nation n° 2046 10 juin 2016

Après l’échec serré de l’initiative «pour le couple et la famille» le 28 février dernier, chaque parti en a été de sa proposition pour corriger une discrimination des couples mariés datant de plus de trente ans.

La gauche égalitariste et le PLR libéral s’accordent pour défendre l’idée d’une imposition individuelle sans égard au statut matrimonial. Si cette idée peut paraître simple au premier abord, elle a deux défauts rédhibitoires: elle est contraire au droit et bureaucratique.

Une imposition anticonstitutionnelle

L’article 127, alinéa 2, de la Constitution fédérale, comme l’article 167, alinéa 2, de la Constitution vaudoise, prévoient que les impôts doivent respecter trois principes fondamentaux: l’universalité, l’égalité de traitement et la capacité économique. Ce dernier axiome veut que le niveau de charge fiscale soit adapté aux possibilités financières du contribuable. Ainsi, le contribuable aisé doit payer plus d’impôt que celui qui assure à peine ses moyens d’existence. C’est sur ce principe qu’est fondée la progressivité de l’impôt (le contribuable avec 25 000 francs de revenus ne paie pas d’impôt; celui avec 100 000 paie 18%; celui avec 300 000, 31%; etc…). C’est aussi le principe de la capacité contributive qui justifie les déductions fiscales (cotisations maladie, frais professionnels).

D’autre part, la famille constitue une communauté économique. Le Code civil, à son article 163, reconnaît ce fait et prévoit: «Mari et femme contribuent, chacun selon ses facultés, à l’entretien convenable de la famille.» L’époux dont les revenus ou la fortune excèdent les moyens de l’autre contribue en proportion aux besoins du couple et de la famille. Cela signifie que deux individus avec un revenu égal n’auront pas les mêmes moyens à libre disposition, si l’un est célibataire et l’autre marié avec une personne sans revenus. Ainsi, la capacité contributive de ces deux individus n’étant pas égale, l’impôt ne peut pas l’être. En conséquence, une imposition individuelle qui ne tiendrait pas compte du statut matrimonial ne respecterait pas la capacité contributive. Les choses deviennent plus criantes encore si notre individu doit en plus subvenir à l’entretien d’enfants.

La question de la contribution des époux au ménage n’est pas un résidu inoffensif d’un ordre passé. Le Code civil prévoit en effet que si un époux ne remplit pas ses devoirs, le juge peut être saisi et imposer judiciairement une contribution d’entretien (mesure dite de protection de l’union conjugale). Les lois fiscales1 reconnaissent d’ailleurs expressément ce devoir légal pour les époux séparés de corps ou de fait (comme d’ailleurs pour les divorcés ou les concubins), qui sont les seuls couples actuellement imposés séparément. Dans ces cas, l’époux versant une contribution d’entretien la déduit de ses revenus imposables et l’autre époux l’ajoute.

Toute forme d’imposition qui ne tiendrait pas compte de l’obligation d’entretien de l’époux plus aisé envers l’époux plus faible, ainsi que de l’obligation d’entretien des époux envers les enfants, ne respecterait donc pas les principes fondamentaux de l’équité fiscale. Elle créerait une nouvelle discrimination par rapport aux divorcés et concubins, dont l’imposition tient compte de ces critères au moyen de la déductibilité de la contribution d’entretien.

Une imposition impraticable

Si l’imposition individuelle devait tenir compte de ces charges d’entretien, cela impliquerait que, pour chaque couple, le fisc devrait, chaque année et en tenant compte de l’ensemble des circonstances déterminantes, définir une contribution d’entretien pour chacun des époux afin d’effectuer les déductions fiscales correspondantes.

De plus, au lieu d’imposer la famille comme un seul contribuable, il faudrait que chaque époux remplisse sa déclaration. Et les enfants? Pourquoi additionner leurs revenus et fortune à l’un ou l’autre des époux? Ils rempliraient aussi une déclaration d’impôts (avec l’aide d’un curateur pour éviter les conflits d’intérêts avec les parents)…

Une imposition individuelle conséquente, soit faisant entièrement fi de la communauté familiale et des solidarités qu’elle entraîne, implique que l’époux qui a renoncé à travailler pour s’occuper du foyer doit se voir octroyer les subsides pour contribuable modeste, et pourquoi pas l’aide sociale, même si son épouse est directrice générale d’une régie publique.

Une imposition individuelle est une solution soit injuste, soit bureaucratique, soit les deux. La correction de la discrimination faite aux couples mariés serait plus simplement corrigée par la règle du splitting, c'est-à-dire la prise en compte en commun des revenus et fortunes des membres de la famille, mais imposés au taux applicable pour la moitié de ce revenu. Cette méthode impliquerait, dans certains cas, de favoriser les couples mariés par rapport aux concubins. Il ne nous semble cependant pas choquant que l’Etat favorise quelque peu l’institution du mariage et de la famille qui est l’un des fondements de toute société. Un autre système acceptable serait d’adopter au niveau fédéral le système du quotient familial, tel qu’il est pratiqué dans le Canton de Vaud.

Notes:

1 Par ex. les articles 7, al. 4, lit. g, LHID et 9, al. 2, lit. c, LHID.

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