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Le tunnel du Saint-Gothard, de la Genèse à l’Apocalypse

Le Coin du Ronchon
La Nation n° 2046 10 juin 2016

Le nouveau tunnel ferroviaire de base du Saint-Gothard a une longueur de cinquante-sept kilomètres. Pourquoi une telle dimension? On a désormais la réponse: c’était pour avoir la place d’y aligner tous les invités lors de la journée d’inauguration.

Car la liste est longue comme un jour sans train. Outre la cohorte de personnalités politiques – parmi lesquelles le président de la République française, tout ébaubi de voir des trains rouler, et celui de la Confédération suisse, parce que rire c’est bon pour la santé –, il y avait aussi et surtout une ribambelle de dignitaires religieux venus prononcer un succédané de bénédiction composite (un peu comme le faux folklore suisse qu’on sert aux touristes japonais): un prêtre, dont les organisateurs avaient d’abord pensé qu’il suffirait à représenter tous les chrétiens; un pasteur, qui a dû protester pour être invité; un rabbin; et bien sûr un imam, un gentil imam macédonien dont la presse, comme il se doit, nous a assuré qu’il prônait un islam «ouvert» et «modéré» – juste avant que ses liens avec des «prédicateurs radicaux» albanais ne soient révélés au grand jour. On aurait dû se douter qu’un tunnel était un lieu plus propice à l’obscurantisme qu’à l’ouverture. On ignore toutefois si celui du Saint-Gothard était correctement orienté en direction de la Mecque.

Pour parachever le caractère surréaliste de ce gloubi-boulga religieux, on a encore invité un «représentant des personnes sans foi» (ni loi?), dont on en est réduit à supposer qu’il a invoqué la protection d’un dieu inexistant, ce qui n’est pas entièrement rassurant pour les futurs voyageurs. Pas de moine bouddhiste en revanche – aurait- il boudé la manifestation? – ni de sorcier africain – ou alors on ne l’a pas vu dans le tunnel. Pas de témoin de Jéhovah – «Vos rochers gris sont magnifiques! » – ni de prêtre orthodoxe – par crainte de faire le jeu de Poutine. Pas de raéliens non plus, ces derniers s’étant davantage mobilisés pour le revenu de base que pour le tunnel de base.

Au néant spirituel, il a finalement fallu ajouter une couche de grotesque culturel, avec un spectacle abscons de personnages déguisés avec laideur qui a valu à la Suisse les moqueries bien méritées de la chaîne de télévision anglaise BBC. (Comme quoi certains journalistes valent mieux que ce qu’on en pense.) En résumé, et sans qu’on puisse en imputer la faute à l’une ou l’autre divinité, la cérémonie d’inauguration du tunnel du Saint-Gott-/ Yahvé-/Allah-/Rien-hard est apparue comme une véritable cour des miracles.

En fait de miracle, le seul qui retienne ici notre attention est la construction parfaite d’un ouvrage aussi phénoménal dans un pays aussi perturbé moralement et psychiquement. Mais il est vrai que les véritables artisans de cette prouesse, à savoir les ouvriers qui ont trimé pendant des années sur ce chantier, n’étaient pas à la cérémonie. Ils n’avaient pas été invités… Heureusement, ils étaient discrètement représentés par sainte Barbe (qui, précisons-le, n’a rien à voir avec celle du Prophète); la presse n’en a quasiment pas parlé, sinon pour sourire narquoisement de cette vieille superstition. Pourtant, dans cette histoire, la sainte patronne des mineurs et saint Gothard lui-même sont les seuls à avoir fait un boulot un peu sérieux.

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