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Fusions de communes - Enseignements d'un échec

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1777 3 février 2006
La fusion des communes de Mézières, Servion, Les Cullayes et Montpreveyres a échoué, cette dernière l’ayant refusée de peu. Cet échec fait suite à celui de la fusion des cinq communes de Lavaux, Epesses, Cully, Villette, Riex et Grandvaux.

Le problème de la fusion des communes est autre que celui de la fusion des cantons. Les partisans de la fusion Vaud-Genève niaient implicitement la réalité du Pays de Vaud comme communauté politique et historique. Ils n’y voyaient que le résultat temporaire d’un découpage utilitaire et modifiable en tout temps selon les nouvelles utilités. Cela justifiait une opposition de principe.

En ce qui concerne les communes, il n’est pas question de souveraineté à défendre. Leur autonomie, réelle et digne de protection, est liée à ces finalités pratiques que sont la gestion des finances et la prestation d’un certain nombre de services. Si une commune ne peut plus assurer ces services, si elle n’héberge plus suffisamment de bonnes volontés pour assumer les charges publiques, si elle se trouve dans des chiffres durablement rouges, si elle n’est plus qu’une coquille vide, un dortoir, un village fantôme, il est juste qu’elle cherche dans une fusion avec ses voisines les moyens de fournir à ses concitoyens ce à quoi ils ont droit. Il est même légitime que, si la situation d’insuffisance grave se prolonge, l’Etat lui-même l’y contraigne.

En dehors même de toute situation de crise, quand deux ou plusieurs communes estiment qu’une administration unique leur permettrait de diminuer sensiblement les coûts, qu’elles ont l’habitude de travailler ensemble, que chacune profite des avantages offerts par l’autre ou les autres, la grande salle, le terrain de football, la décharge, le cimetière, il n’est pas scandaleux qu’elles évoquent l’idée d’une fusion.

Cela dit, tant qu’une commune se tire honorablement d’affaire, que ses chiffres sont à peu près noirs et qu’elle trouve un personnel suffisant pour s’occuper des mille et une tâches qui font son quotidien, il est bon qu’elle continue. Ces services quasi bénévoles allègent considérablement les charges. En outre, le fait même que de simples citoyens les assument augmente la valeur communautaire, le poids humain de la commune. C’est un mieux-vivre qui profite à toute la population.

En tout cas, de grâce, qu’on ne présente pas les choses comme si toute fusion de communes était une promesse d’efficacité et de rentabilité, voire de moralité – un commentateur de l’échec de Jorat-Mézières a parlé de «diable anti-fusion»! Quand la Constitution vaudoise promeut la fusion des communes en soi, quelle que soit la situation des communes concernées, quel que soit le sentiment de leurs habitants, elle affirme implicitement que les communes actuelles ne sont, dans leur ensemble, plus adaptées au monde d’aujourd’hui. Cette affirmation est infondée dans la plupart des cas. D’une certaine manière, les sommes tentantes que la Constitution prévoit de verser aux communes qui fusionnent permettent de juger la vitalité de celles qui refusent…

Les initiateurs de Jorat-Mézières ont-ils eu raison de lancer une offre de fusion à la cantonade et d’inviter toutes les communes avoisinantes à participer? C’était un choix possible, qui présentait des avantages en termes de publicité. Ils suscitaient l’intérêt des médias et se plaçaient dans un courant idéologique assez répandu, celui-là même qui avait inspiré la Constituante. En revanche, ils se privaient de l’argument de la nécessité économique qu’ils auraient pu évoquer s’ils étaient d’emblée partis sur un projet limité aux communes touchées par cette nécessité. De plus, la médiatisation a toujours pour effet de durcir les conflits, de cristalliser les oppositions et de transformer un poseur de questions un peu méfiant en une incarnation du refus sans concession.

Il faut aussi se demander – on est toujours très intelligent, une fois le résultat connu – si l’opération n’est pas allée trop vite, si certaines personnes n’ont pas refusé simplement parce qu’elles n’aiment pas se sentir bousculées. Pour certains, l’autonomie communale est, plus que le Canton, le lieu principal de l’indépendance politique. Ils considèrent toute modification du territoire de leur commune comme une atteinte majeure à cette indépendance. Ce n’est pas notre point de vue, nous l’avons dit, mais il faut être conscient du fait.

Pas de regrets! Les trois membres de la Municipalité de Servion qui avaient annoncé leur démission en cas d’échec sont judicieusement revenus sur leur décision. Car l’échec évite aussi de probables déconvenues pour ceux-là mêmes qui voulaient la fusion. Si c’est de justesse – treize voix! – que Montpreveyres a rejeté la fusion, c’est aussi de justesse que Mézières l’a acceptée. Le Méziérois Edouard Montagrin se félicite, dans le Courrier de la Broye et du Jorat du 20 janvier, de ce que la population des quatre communes ait évité une acceptation précaire: «Imaginons la convention de fusion des quatre communes acceptée […]. Quelle aurait été la marge de manœuvre des futures autorités dans un tel contexte? Quasi nulle. On n’aurait pas manqué parmi les opposants, mais pas qu’eux, de stigmatiser la moindre erreur, le plus petit tâtonnement… Pour qu’un projet de cette ampleur passe, et que les inévitables erreurs de jeunesse, essais divers et autres problèmes qui ne manquent pas de se poser, suscitent la compréhension, il faut qu’il soit largement accepté.» Nous partageons cette appréciation. Il faut qu’une nouveauté aussi importante qu’une fusion soit portée par un mouvement d’ensemble convaincu d’une nécessité impérieuse et non par une majorité d’occasion cédant à la mode de l’unification pour l’unification.

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