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Le désamour des médias

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2125 21 juin 2019

«Les médias ont-ils tout faux?» demandait Infrarouge dans son émission du 22 mai dernier, consacrée au désamour croissant de la population envers les médias, constat apparemment non contesté par les journalistes présents. L’un des participants évoqua la concurrence des réseaux sociaux qui, travaillant sur l’instant et l’émotion, attirent plus facilement l’attention des jeunes consommateurs. Un autre fit remarquer que, pour beaucoup de lecteurs, si la presse ne dit pas exactement ce qu’ils pensent, c’est qu’elle sacrifie aux fake news. On nota aussi que le fait de disposer de moins de moyens et de moins de temps rend plus difficile, pour le journaliste d’aujourd’hui, de prendre de la distance et de porter un jugement sans parti pris.

M. Slobodan Despot, seul représentant d’un organe de presse plus ou moins marginal, déclara avoir créé son Antipresse1 pour battre en brèche l’«unanimisme» de la presse et ses «relations incestueuses» avec le monde politique.

De fait, si différents et si critiques les uns envers les autres (et entre eux) qu’ils soient, la presse et les milieux politiques agissent implicitement dans la perspective de cette idée que tout, le monde, les personnes, les Etats, la pensée même, est soumis à un mouvement évolutif qui parcourt l’histoire et emporte l’univers entier.

Certains voient ce mouvement comme une marche vers l’âge d’or, d’autres comme une débâcle de la civilisation. Mais tous le jugent inéluctable, ce qui modifie radicalement le rôle qu’ils attribuent à la réflexion politique.

En effet, dans cette perspective où tout change, l’argument rationnel n’a plus aucune force contraignante pour l’intelligence. Il échoue à enraciner l’auditeur dans la réalité… puisque la réalité ne cesse de se transformer. A leurs yeux, il reste à la surface des choses. Il n’est, au mieux, que la cristallisation d’un sentiment provisoire, un slogan parmi d’autres, auquel on est libre d’adhérer ou non. Peut-être pertinent aujourd’hui, l’argument sera dépassé demain et caduc la semaine prochaine. Dès lors, ce qui fait la force d’une position politique, ce n’est pas la pertinence objective du discours, mais sa conformité au mouvement général. Et il suffit de dire que «les temps changent» pour dévaloriser la plus éclatante des démonstrations.

C’est dans cet état d’esprit que les politiciens (ce qu’on peut comprendre) et la presse (ce qui est plus difficile à avaler) ne font jamais le bilan comparé des prophéties, promesses et menaces qui ont nourri une campagne d’initiative ou de référendum. Jamais on n’examine à la lumière des conséquences principales et secondaires la pertinence des arguments des uns et des autres. Jamais on ne dénonce ce que la suite des événements a identifié comme des mensonges incontestables. Relire les tracts de la campagne sur la dernière réforme scolaire (rien que la dernière), par exemple, ne serait-ce pas une manière de saisir le fond des choses? Au contraire, pensent-ils, pourquoi se charger du poids d’une expérience qui n’est que le résidu d’un passé insignifiant?

Cette réinitialisation constante permet aux autorités de recommencer à zéro à chaque nouvelle votation et de ressasser sans vergogne le même vieux fond argumentatif. Les promesses et les menaces utilisées pour promouvoir la signature du traité sur l’Espace économique européen furent reprises telles quelles contre l’initiative sur l’immigration de masse ainsi que pour la loi sur les armes. On les recycle aujourd’hui en faveur de l’Accord-cadre. Et on nous les présente à chaque fois comme des arguments nouveaux issus de profondes et originales réflexions.

C’est peut-être ça, la «pensée unique», cette philosophie unanimiste qui englobe les différences et les différends dans la perspective d’un futur inévitable.

Et puis, il y a ceux qui refusent cette croyance à un monde où tout change tout le temps. Sans toujours le formuler intellectuellement, ils sentent qu’il existe une essence des choses et que l’être humain, sous toutes les latitudes et à toutes les époques, conserve des caractéristiques essentielles, sa nature communautaire et hiérarchique, sa capacité de jugement et d’action libres, son besoin de permanence familiale, de stabilité des mœurs et des lois. C’est de ceux-là que vient le désamour à l’égard d’une presse qui néglige ou méprise ces réalités, tout en prétendant en rendre compte.

C’est aussi ce qui motive la publication obstinée de quelques feuilles et sites, de gauche, de droite ou d’ailleurs, qui, eux aussi, sont unanimes sous leurs désaccords. Ils partagent cette certitude commune qu’une vérité profonde et durable, emportant l’esprit et cadrant l’action, peut surgir du choc honnête des arguments.

Notes:

1  Publication hebdomadaire numérique et papier, www.antipresse.net.

 

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