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Occident express 32

David Laufer
La Nation n° 2125 21 juin 2019

«Mais tu sais, toi, où je peux en trouver dans cette ville?» me demandait ce Français dans la quarantaine tardive, l’air vaguement désespéré. Il parlait de femmes à vendre. N’étant pas exactement expert en la matière – je n’ai pas acheté la mienne – je n’ai pu lui répondre que ceci: «On me pose souvent cette question.» Ce qui est vrai. Le petit monde des expatriés, ceux qui écument la région pour Ikea, Nestlé, Carrefour ou Société Générale se refilent entre eux les meilleures adresses – hôtels, restaurants, bars à cocktails, chair fraîche. La meilleure source d’informations consiste évidemment à interroger les résidents étrangers, dont je suis, mais c’est chou blanc dans 100% des cas. Belgrade est réputée pour ses bars, sa vie nocturne et sa gastronomie. Sur ce point délicat pourtant, la capitale de Serbie rougit et rajuste son chemisier. Ce qui surprend dans une région où l’industrie pornographique a fait fortune depuis la chute du Mur, notamment en Hongrie voisine, mais aussi en Roumanie et en Bulgarie, sans parler des eldorados tchèques et polonais. La combinaison entre une population féminine prisée pour ses qualités esthétiques, un niveau de vie très bas et l’irruption d’internet ont offert aux pornographes des revenus de footballeurs anglais. Pourtant, comme dans Astérix, la Serbie résiste encore et toujours à l’envahisseur. Ici, les abribus et les bars ne sont pas remplis, comme à Prague ou Budapest, d’annonce pour des escorts ou de numéros 0800 pour des services très spéciaux. La prostitution est sévèrement punie – pas sa consommation toutefois – et même si, dans les grands hôtels, certaines clientes du bar ont des allures interlopes, la chose reste remarquablement discrète. De l’aveu général, les jeunes filles serbes ne sont pas faciles, on ne les achète pas avec un verre de whisky et quelques cigarettes. Je me souviens de sa réaction lorsque j’avais annoncé mes fiançailles à un employé de l’Ambassade de France: «Comment t’as fait?» Le capitalisme conquérant n’est toujours pas parvenu à rompre cette digue et il ne s’est encore trouvé personne pour m’expliquer cette surprenante singularité nationale. Il ne semble toutefois pas impossible que ce soit, là aussi, l’expression d’un trait de caractère national. On y trouve de la fierté, du complexe de supériorité aussi, tout cela mêlé d’une pruderie héritée d’un pesant patriarcat. Mais il est aussi question d’habitudes communautaires dans lesquelles la sexualité est une affaire honteuse puisque soumise au regard, aux oreilles, et aux jugements de tous. Ce qui n’arrangeait pas du tout les affaires de mon pauvre Français, dans ce restaurant où les beautés belgradoises le livraient, soir après soir, au supplice de Tantale.

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