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Démocratie numérique

Cédric Cossy
La Nation n° 2125 21 juin 2019

La numérisation est en marche! Même les plus conservateurs de nos lecteurs utilisent un téléphone intelligent, une messagerie électronique et naviguent sur la toile. Nous achetons des chaussettes en ligne, réservons des hôtels et des spectacles à Berlin ou Paris, communiquons par vidéoconférence avec des parents expatriés à l’autre bout du monde.

La Ligue vaudoise n’est pas adepte de la démocratie électorale et du jeu des partis, mais elle apprécie les vertus régulatrices de la démocratie directe, en utilisant de temps à autre le référendum pour freiner le galop centralisateur du législateur.

La numérisation de la démocratie rend-elle cette dernière plus fréquentable? Laissant à d’autres le soin de commenter l’usage des twitter et autre facebook par les candidats en course électorale, nous nous concentrerons sur quelques outils susceptibles d’influencer la démocratie directe.

Si, séduit par l’action d’une lycéenne suédoise gréviste, le jeune Kevin lance un appel à la grève du climat pour vendredi prochain à ses cinquante amis virtuels facebook, si la moitié d’eux font de même, tout comme la moitié de leurs amis, l’invitation sera parvenue à 32000 personnes.

Cette puissance de la mobilisation virale a titillé certains adeptes de la démocratie participative: M. Daniel Graf, entre autres ex-attaché de presse d’Amnesty International et ex-directeur des Verts zuricois, voit dans les réseaux sociaux LE moyen facile et efficace pour mobiliser la base et faire remonter ses propositions aux dirigeants politiques. Se présentant tour à tour comme un Campaigner, un Gamechanger ou un Citizen marketer, M. Graf ne se contente pas d’ouvrir des plateformes d’échange d’idées, mais milite pour la numérisation de la démocratie directe: récolte de signatures en ligne pour pétition, référendum ou autre initiative, contrôle électronique des signatures dans les administrations, etc. Pour lui, l’usage du papier est inefficace et obsolète.

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Imaginons que l’interdiction des glutamates dans les soupes en sachet est pour vous une urgence sanitaire. Le lancement d’une initiative s’impose, mais vous n’avez pas le premier sou pour ce faire. Vous disposez par contre d’un joli réseau d’amis virtuels concernés par les problématiques alimentaires; votre plume alerte et indignée enflamme très vite les passions de vos fidèles suiveurs. C’est le moment de leur lancer un appel au financement participatif via un site de crowdfunding: vous devez dès lors convaincre un maximum de personnes de faire un petit don – le prix d’un café suffit – pour soutenir votre projet. Si les promesses de dons atteignent l’objectif que vous avez fixé au lancement de la collecte, les dons se concrétisent et vous disposez dès lors du budget nécessaire pour votre campagne, mais aussi d’un premier réservoir de signataires convaincus, puisqu’ils ont co-financé votre campagne.

L’initiative en ligne n’existant pas encore, vous vous adressez ensuite à M. Graf via son site WeCollect.ch. On y propose à qui veut une récolte de signatures en ligne:

L’objectif de WeCollect est de mettre en réseau des personnes qui se prononcent pour une politique réfléchie et prudente. Ensemble, nous collectons des signatures pour des initiatives populaires et des référendums de manière rapide, virale et efficace.

[…] Nous donnons de la visibilité aux initiatives et référendums qui encouragent la collectivité à faire preuve de discernement.

[…] Envoie-nous les documents concernant l’initiative, respectivement le référendum, que tu planifies. Afin de juger si une campagne correspond à l’esprit WeCollect, nous avons besoin du texte de l’initiative, ainsi que des informations sur le comité de lancement.

Votre texte contre les glutamates est certainement compatible avec les valeurs de WeCollect et le site diffusera, contre juste rémunération s’entend, l’argumentaire et la liste de signatures sur la toile. Restera aux internautes à imprimer, remplir et renvoyer leur liste à WeCollect, qui se chargera d’organiser les contrôles communaux.

Doit-on craindre l’asphyxie de la démocratie directe, sous une avalanche de référendums et initiatives aboutis grâce à ces nouveaux outils de financement ou de diffusion? Ce n’est pas certain au vu des succès très variables annoncés par WeCollect: 1636 signatures contre la RFFA, 16’753 contre la surveillance des assurés, 59’607 pour le congé paternité, 1512 contre le mitage du territoire. Ces exemples sont représentatifs de l’intérêt des internautes pour les seuls thèmes émotionnels. Les questions constitutionnelles ardues ne suscitent que peu d’enthousiasme. Il est donc à craindre qu’un sujet aussi futile que les glutamates dans votre potage détourne bel et bien l’attention des citoyens des questions importantes. Relativisons en constatant que, même dans le meilleur des cas, la campagne en ligne ne suffit pas à faire aboutir un texte. Le complément par des moyens de récolte plus traditionnels reste nécessaire.

Et les internautes eux-mêmes sont partagés sur la démocratie numérique: vous pouvez sur WeCollect rejoindre les 3920 signataires de l’initiative demandant un moratoire sur… le vote en ligne.

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