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La Suisse au Conseil d’insécurité?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2152 3 juillet 2020

Le procès de l’ONU en tant que garante de la paix dans le monde n’est plus à faire. Elle s’est condamnée elle-même par ses échecs un peu partout sur la planète: Ruanda, Balkans, Libye, Syrie, Yémen, n’en jetez plus. En 2002, après deux refus en votation populaire, le Conseil fédéral a réussi à vendre l’adhésion de la Confédération helvétique en usant d’un langage qui se voulait réaliste: bien sûr que l’ONU connaît des blocages, mais c’est l’unique endroit au monde où tous les Etats se rencontrent, où la diplomatie peut nouer des contacts multilatéraux sans limites et tente de trouver des solutions d’apaisement aux conflits qui menacent; ce qui sied parfaitement à la vocation de médiatrice de la Suisse.

Conseillers fédéraux et ambassadeurs ont donc été se pavaner à Manhattan, ou y ont mené des conciliabules dont on sait peu de choses. La preuve de leur utilité reste à apporter. Il nous semble que les quelques services rendus par la Suisse entre forces antagonistes, en Afrique centrale, en Amérique latine, en Iran, en Ukraine peut-être, tiennent plus aux circonstances particulières de ces cas ou à la présence sur place de négociateurs talentueux qu’à des échanges dans les salons onusiens. Peut-être l’adhésion a-t-elle conforté la position de Genève comme ville d’accueil des organisations internationales; ce n’est même pas documenté. Un bilan objectif de notre participation, après bientôt vingt ans, est très maigre, voire nul. Mais on doit reconnaître que, à cause de l’inefficacité même de l’organisation, notre neutralité n’a guère souffert de notre présence à Manhattan: l’Assemblée générale, où nous siégeons, ne prend pas de résolutions contraignantes sur les conflits secouant le monde; et, parmi les 193 membres, il est aisé de rester en retrait quand la prudence le recommande.

Au Conseil de sécurité, c’est autre chose. Le Conseil fédéral veut poser la candidature de la Suisse à un siège de membre non permanent pour deux ans (2023-2024). M. Cassis a rompu une lance en faveur de ce projet dans une récente interview à 24 heures. Or le Conseil de sécurité, qui traite des menaces contre la paix, peut émettre des résolutions contraignantes (ou prétendues telles) pour les Etats et prononcer des sanctions contre les récalcitrants. Il est au cœur des tensions internationales et la position du pays qui y siège ne peut passer inaperçue: il n’y a que quinze membres. Le droit de veto des membres permanents, souvent utilisé dans les affaires les plus chaudes, montre bien qu’on est dans le domaine de la politique de puissance et non de l’application du droit.

Ce qui frappe dans l’interview de M. Cassis, c’est ce qui n’y figure pas. Il vante le renforcement de l’image de notre pays sur la scène internationale que lui procurerait, prétend-il, sa présence au Conseil de sécurité (quelle est d’ailleurs la visibilité accrue de la République Dominicaine, de la Tunisie, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, actuels membres non permanents?); mais il ne touche pas un mot des risques que cette participation comporterait pour la neutralité, essentielle à notre sécurité. Or c’est bien cette politique de neutralité – au-delà des obligations directes de la neutralité militaire – qui nous rend crédibles dans l’offre de bons offices et dans d’autres situations où l’on nous fait confiance.

Plutôt que de débiter l’eau tiède du discours convenu sur la place de la Suisse dans le concert des nations, M. Cassis devrait indiquer concrètement et précisément ce que la Suisse aurait voté sur les résolutions concernant Israël et la Palestine (bloquées par le veto des USA), la Syrie, l’Ukraine, le Yémen (vetos de la Russie); quels effets son vote positif ou négatif aurait eus sur nos relations avec les grandes puissances; en cas d’abstention, à quoi sert de siéger dans un Conseil pour n’y pas voter.

Mais nous doutons fort que le Conseil fédéral ou le Département des affaires étrangères nous livre cette analyse. Car il semble évident que la visibilité internationale éventuellement accrue de notre pays (et la satisfaction de l’ego de nos diplomates) pendant deux petites années ne fait pas le poids face aux risques d’atteintes à la neutralité et de perte durable du crédit qu’elle nous vaut. Des facteurs d’insécurité!

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