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Le christianisme rend-il indifférent au monde?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2153 17 juillet 2020

Dans l’ouvrage Au-delà des droits de l’homme », dont nous avons déjà présenté la postface intitulée Qu’est-ce que le libéralisme ?1, M. Alain de Benoist décrit la progression de l’individualisme dans la civilisation occidentale. Il montre comment, au fil des siècles, une société où les hommes se définissaient essentiellement par leur appartenance à la lignée familiale, à la classe sociale et à la communauté nationale, a fait place à une société qui n’est plus qu’une organisation de services de tous genres à l’individu.

Pour de Benoist, le christianisme est un facteur clef de ce processus de décomposition. Universaliste – c’est-à-dire sans frontières –, cette religion instaure, toujours selon lui, une relation directe de l’homme à son Dieu, auquel seul il rend compte de ses actes. L’homme se trouve ainsi débarrassé par le haut de toutes ses déterminations collectives, ce qui le rend indifférent à l’égard du monde et de ses œuvres.

Le constat n’est pas entièrement faux, mais il ne rend compte que d’une partie de la réalité. Car, parallèlement à la montée de l’individualisme libéral, on constate une montée du collectivisme étatique. Et ce collectivisme court-circuite la communauté traditionnelle au moins autant que l’individualisme, lui substituant une communauté de carton-pâte où les schémas morts de l’administration remplacent les liens vivants des familles, des groupements intermédiaires et de la nation.

Les sources chrétiennes du collectivisme sont non moins évidentes que celles de l’individualisme: l’esprit communautaire des premiers chrétiens, la mise en commun des biens, l’esprit de sacrifice pour les autres imitant celui du Christ. Au fur et à mesure que l’Eglise reculait devant la modernité et faisait place à l’«Etat-Providence», ces expressions de l’amour chrétien se transformaient en obligations administratives, redistribution des richesses par l’impôt et restriction des libertés au nom de l’intérêt général.

A la négation individualiste de la communauté, que dénonce justement de Benoist, fait donc symétrie la négation collectiviste des libertés personnelles: les deux caractéristiques sociales essentielles de l’être humain sont ainsi mises artificiellement en contradiction. Au début, disons à la fin du XVIIIe siècle, elles inspiraient alternativement, au gré des élections, une politique libérale puis une politique socialiste, chacune défaisant ce que l’autre avait fait. Aujourd’hui, elles s’allient bien souvent – on le voit exemplairement avec le social-libéralisme de l’Union européenne – pour détruire ce qui reste de l’ancien monde.

Nous sommes donc en face, non du rabougrissement linéaire d’une civilisation en fin de course, mais de la croissance séparée et sectaire d’éléments autrefois unis dans la synthèse de la chrétienté. C’est de la rupture de cette synthèse prodigieuse de trois civilisations, Jérusalem, Athènes et Rome, qu’ont surgi l’individualisme et le collectivisme. Il convient toutefois de distinguer, et de ne pas reprocher au christianisme les failles de la chrétienté, qui est une civilisation, aussi mortelle que les autres.

Il est impossible de déduire, tant de l’Ancien Testament que du Nouveau, l’idée que l’homme pourrait, voire devrait se désintéresser des choses de ce monde. Pour bien le saisir, il faut avoir en tête le point de vue original du christianisme sur la relation entre l’humanité et Dieu. Cette relation ne se présente ni comme une fusion instable à la manière coranique, ni comme une coexistence séparée, de type libéral, entre la foi privée et la laïcité publique, ni comme un antagonisme qui nierait la valeur du monde, relatif et passager, au nom de l’absolu divin ou qui, à l’inverse, proclamerait que ce monde est le seul existant. Le point de vue chrétien se présente comme une distinction, c’est-à-dire comme une union différenciée, de l’Au-delà et de l’ici-bas.

Cela signifie que, même relatif, notre monde reste digne d’être mis en valeur. Le Christ, interface entre la terre et le ciel, n’a coupé ni le fil qui nous attache à la terre, ni celui qui nous relie à Dieu. C’est trop peu dire: il a tenu l’un et l’autre avec toute la force de l’incarnation.

Dès lors, en toute situation, la double question est posée au croyant de sa fidélité à son Dieu et de sa pleine implication dans un monde dont il a la charge depuis le commencement des temps.

Et c’est précisément grâce à cette distinction des deux mondes – et à son engagement dans les deux – que le christianisme, et lui seul, a pu pleinement reconnaître, dans le cadre de la toute-puissance divine, leur pleine autonomie à la philosophie, aux arts, aux sciences et à la politique. Toute l’histoire de l’Europe chrétienne, et jusqu’à l’ampleur de la débâcle actuelle, en témoigne.

Notes

1    La Nation N° 2116 du 15 février 2019.

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