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Occident express 66

David Laufer
La Nation n° 2158 25 septembre 2020

Parlons un peu de Nikola Tesla, cet inventeur génial à qui l’on doit le courant alternatif et la radio, entre autres. Tesla est né en 1856 d’un père pope orthodoxe serbe sur le territoire de l’actuelle Croatie. Ainsi les Serbes comme les Croates le réclament et saisissent la moindre occasion d’échanger des insultes sur ce sujet, puisqu’ils n’ont rien de mieux à faire. Or si Tesla fut un génie, c’est surtout l’empire des Habsbourg qui l’a révélé et éduqué. Il en va de même pour deux autres génies mondiaux de la science, Milutin Milankovic et Mihajlo Pupin, tous deux serbes nés sur un territoire administré par les Habsbourg, le premier en Croatie et le second en Serbie. Fussent-ils nés dans l’empire ottoman, au sud de la Save, personne n’en aurait rien su. Leur religion orthodoxe les aurait interdits d’école et d’avenir. Les Autrichiens, durant la courte période de leur mandat sur la Croatie et la Bosnie, ont littéralement transformé ces pays. Ils y ont apporté tous les bienfaits de la modernité – écoles, universités, routes, réseau ferré, postes, recensement, tribunaux. Sur l’île de Hvar en Dalmatie, on va encore à l’école aujourd’hui dans un élégant bâtiment autrichien. De l’autre côté de la Save, il ne reste rien. Les Ottomans ont tout pris, tout étouffé, et puis ils sont partis laissant derrière eux des populations incultes, ignorantes, miséreuses et incendiées par des haines inextinguibles, comme le démontrent les Balkans et le Proche-Orient. Quelles chances un jeune Tesla né sous le joug turc aurait-il eu d’être repéré, encouragé, emmené vers la capitale, entouré de tous les égards. Et pourtant, Turcs comme Autrichiens, les deux ont finalement cédé face aux peuples qu’ils avaient soumis, et les deux se sont effondrés en 1918. Cette opposition entre les gestions et les héritages de deux empires sur un même territoire est éclairante. On peut être tenté – enfin, il m’arrive de l’être – de se balader dans New Dehli ou Mexico ou Alger et de contempler les restes du passé colonial avec un irrépréhensible regret. Qu’avaient-ils à exiger leur indépendance, n’étaient-ils pas mieux, et n’ont-ils pas accompli cent fois plus de choses lorsqu’une puissance impériale européenne les occupait? Ce qui apparaît dans les Balkans, où un empire a construit tandis que l’autre a détruit, c’est que les intentions des colons ne comptent que peu dans les esprits et les désirs des peuples administrés. La liberté ou la mort, apparemment, n’est pas juste un slogan dramatique, c’est une vérité universelle et sans cesse démontrée. Mais reconnaîtraient-ils aujourd’hui, les Serbes et les Croates, que leurs revendications sur Nikola Tesla équivalent en réalité à regretter le temps où ils étaient soumis aux Habsbourg? J’en doute, et d’ailleurs je n’ai jamais entendu des Suisses se vanter d’avoir eu leur première Constitution rédigée par Napoléon.

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